
Pourquoi écrire un tel livre ?
J’ai voulu parler de ce qui motive un chercheur, expliquer pourquoi on se lance dans ce métier difficile, évoquer les satisfactions qu’on peut en éprouver, les frustrations qu’on peut parfois ressentir. Faire de la recherche est une aventure extraordinaire et enrichissante, mais il ne faut l’aborder que si on en a vraiment la passion ! C’est de cette passion dont je parle surtout dans le livre.
Les jeunes chercheurs sont mal payés, beaucoup s’expatrient après leurs études, comme Emmanuelle Charpentier, prix Nobel de chimie 2020.
Le salaire insuffisant en début de carrière est un aspect du problème, mais il y en a un autre, peut-être encore plus sérieux. Les jeunes chercheurs s’expatrient aussi car ils trouvent à l’étranger de meilleures conditions matérielles pour mener leurs recherches. Emmanuelle Charpentier est partie après sa thèse en postdoc à l’étranger comme la plupart des étudiants pour s’ouvrir l’esprit et apprendre des méthodes de travail nouvelles. Elle y est restée parce qu’on lui a offert très vite des conditions de travail bien meilleures que celles qui lui étaient promises en France.
C’est dommage pour la France, non ? (...)
. A partir des années 1990-2000, les salaires offerts aux jeunes chercheurs et les possibilités et les moyens de travailler de façon indépendante ont décroché par rapport aux autres pays à la pointe de la recherche. La première chose que doit faire un jeune chercheur français qui démarre est de commencer par… chercher de l’argent en émargeant à des appels à projets souvent finalisés, pour lesquels on lui demande d’annoncer ce qu’il va trouver, ce qui est aberrant. Espérons que les choses vont commencer à changer avec la nouvelle loi d’orientation de la recherche. (...)
Pour un chercheur, la curiosité c’est important, ça se cultive ?
Oui. Il reste encore beaucoup de questions non résolues, aussi bien fondamentales que technologiques qui m’intéressent. Et que va-t-on faire de ce qu’on a appris, où cela peut-il conduire le monde demain ? Evidemment j’ai une frustration toute personnelle que j’évoque dans le dernier chapitre : je ne connaîtrai pas la suite de l’histoire. (...)
En 60 ans, le laser a permis de gagner dix ordres de grandeur en précision sur beaucoup de phénomènes. Est-ce qu’on va en gagner autant les 50 prochaines années ? J’en doute, car tout phénomène à croissance exponentielle trouve une limite. Mais l’une des voies d’avenir pour aller plus loin sera peut-être d’exploiter la complexité quantique. Il s’agira de mettre ensemble des particules et les faire interagir suivant les lois de la physique quantique sans qu’elles ne perdent leur cohérence. On entre dans un monde riche mais difficile à expliquer à des profanes. (...)
N’a-t-on pas perdu confiance dans la science de nos jours ?
La méthode scientifique est basée sur le doute rationnel qui consiste à confronter en permanence les théories aux observations et aux expériences. En physique, cette démarche a permis d’acquérir des certitudes avec des résultats d’une précision extraordinaire. L’électrodynamique quantique, qui explique les interactions lumière/matière, prédit la valeur de certains paramètres physiques avec dix chiffres significatifs. Le physicien américain Feynman a pu dire que si la distance Paris-New York dépendait de cette théorie, on l’aurait calculée à l’épaisseur d’un cheveu près. Le doute scientifique rationnel, n’a rien à voir avec le doute pervers de ceux qui remettent tout en cause, qui disent que puisque la science ne répond pas à certaines questions elle ne sert à rien et que finalement une opinion vaut une théorie. Dans un article du « New York Times », Yuval Noah Harari, l’auteur de « Sapiens », disait que le problème de la science est qu’elle découvre des vérités universelles alors que les gens qui se sentent au bord du chemin de la globalisation se regroupent en communautés dont la cohésion ne peut se faire qu’autour de croyances tribales qui leur servent de ciment. Ils ressentent l’universalisme de la science comme une menace et la rejettent.
La science doit-elle prendre parti, se prononcer sur ses applications potentielles ?
Elle permet de créer des connaissances, donne des moyens pour agir sur le monde et ouvre sur des technologies et des applications. Mais savoir s’il faut ou non développer ces technologies n’est plus du domaine de la science et relève plutôt de l’éthique et de la gouvernance politique. Les ciseaux génétiques d’Emmanuelle Charpentier constituent une découverte fondamentale, extraordinaire, mais qu’il faut bien sûr manier avec précaution. Fallait-il ou non construire la bombe atomique ? La question se posait à l’époque dans un contexte particulier, mais savoir s’il fallait établir l’équation E = MC2 qui « impliquait » la bombe, n’est pas questionnable ! (...)
La défiance dans la science est cependant grandissante…
C’est le manque de culture scientifique qui induit de la défiance. Je suis frustré quand j’allume la télévision ou la radio d’entendre qu’on rabâche sans cesse les mêmes questions de petites stratégies ou tactiques politiciennes et qu’on ne parle quasiment jamais de science, alors qu’elle a pourtant un impact extraordinaire sur nos vies et qu’en comprendre les valeurs est essentiel. Le GPS, les lasers, l’IRM, les ciseaux génétiques et tous les appareils que nous utilisons tous les jours sont basés sur la science moderne, la physique quantique, la relativité ou la biologie moléculaire. Le rappeler en insistant sur l’importance de la science dans notre quotidien devrait être une mission importante des médias.
Mais la science, de plus en plus ardue, est quasi inaccessible à la plupart d’entre nous ?
Comme le disait Victor Hugo, « ces choses-là sont rudes, il faut pour les comprendre avoir fait ses études » ! La science va être essentielle pour répondre aux grandes questions qui se posent sur l’énergie, le climat, les pandémies… Si on est capable de développer très vite des vaccins, ce que le public réclame à juste titre, c’est parce qu’on se base sur des découvertes fondamentales qui constituent un substrat essentiel. Il faut essayer de faire comprendre cela au public non-scientifique et avant tout favoriser l’éducation scientifique en montrant ce qu’est la démarche scientifique, parler de ses valeurs et dire en quoi elle éclaire notre vision du monde. Et rappeler aux politiques la vérité évidente que seule la science peut apporter des solutions aux grands problèmes qui se posent à l’humanité.