
L’arbitrage international ? Un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Des enjeux finalement moins techniques — malgré, avouons-le, les apparences — que politiques. C’est précisément quand on nous présente des figures du droit comme « indépassables » qu’il nous faut nous interroger sur leur généalogie et leurs effets. Nous avons rencontré Renaud Beauchard, avocat, qui a publié cet automne L’Assujettissement des nations aux éditions Charles Leopold Meyer. Il décrypte pour nous l’histoire de l’arbitrage d’investissement, aboutissement de la logique néolibérale au service des entreprises transnationales.
(...) un mécanisme peu connu du grand public : le règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE), permettant à une entreprise de porter un litige l’opposant à un État devant une juridiction privée. Trop peu connu — y compris dans la littérature critique du capitalisme et du libéralisme —, ce mécanisme est un un enjeu politique contemporain fondamental. (...)
Ayant moi-même été consultant dans d’autres secteurs de ce groupe, je me suis vite rendu compte que l’ISDS était un maillon central de tout le système mis en place par les institutions de Bretton Woods et les organisations travaillant dans le secteur du développement. L’ensemble est regroupé sous l’expression anglaise de « leveling the playing field », c’est-à-dire d’aplanissement du monde pour les investisseurs. L’aspect qui m’intéressait tout particulièrement était l’idée que des arrangements institutionnels décidés localement (les codes d’investissement ou les lois nationales de prévention de la corruption) ou contenus dans des traités internationaux, puissent être pensés comme des signaux à envoyer à des investisseurs afin de capter des flux de capitaux sous la forme d’investissements directs étrangers. Les instances de la gouvernance mondiale amalgament l’ensemble de ces phénomènes sous le vocable d’« amélioration du climat des affaires » ou d’« attractivité des systèmes juridiques ». Travaillant à la fois sur ces questions et étant particulièrement attentif à la réflexion menée sur le sujet par l’Institut des Hautes Études sur la justice, j’ai peu à peu acquis la certitude que l’ISDS, participant d’une logique de sanctuarisation des droits des investisseurs, c’est-à-dire de garantie d’un investissement sans risque, était au centre de ce dispositif et qu’il s’agissait d’un phénomène majeur dans l’économie mondialisée qui méritait d’être sorti de sa gangue technicienne et exposé dans toute sa dimension systémique. (...)
« Il s’agissait de fournir un habillage juridique à l’usage de la force par des nations qui possédaient un avantage militaire. » (...)
L’ISDS est inséparable du contexte de la guerre froide et de celui de la contestation naissante dans les nations du Sud. Il est donc né d’une volonté de trouver une solution empêchant l’embrasement des troubles sociaux et politiques contre les investisseurs des anciennes puissances coloniales et de limiter au maximum le risque d’affrontement direct entre les deux grandes puissances dans les nations nouvellement émancipées de la tutelle coloniale. (...)