
Ils sont chargés de protéger les rivières, la biodiversité, et de verbaliser les pollueurs. « Scientifiques avant d’être flics », les inspecteurs de l’environnement assurent aussi bien des missions de police judiciaire que des inventaires d’espèces. Leur travail se heurte au « pouvoir de nocivité des préfets » qui, soumis aux lobbies locaux, usent de multiples moyens pour leur mettre des bâtons dans les roues.
Si des travaux détruisent des espèces protégées, ou ne respectent pas les cours d’eau, elle peut mettre une contravention ou, plus fréquemment, dresser un procès verbal : « On mène alors une enquête judiciaire complète avec auditions, réquisitions, investigations nécessaires pour faire émerger la réalité de l’infraction, ses motivations, les préjudices économiques... »
L’enquête peut se révéler longue, de quelques jours pour un délit « simple » à des mois pour des affaires plus complexes. Dans le cas d’une commune qui ne respecterait pas un arrêté « sécheresse » ou d’une entreprise hydroélectrique qui prélève davantage d’eau que ce à quoi elle a droit, l’enquête peut être menée rapidement. « Entre le constat de l’infraction et la recherche de réponses, il y a peu d’acteurs et les faits sont suffisamment clairs », précise Lucie. Face à une fromagerie accusée de pollution, l’inspectrice va devoir se pencher sur les pratiques mises en œuvre, pour apporter les éclaircissements au procureur, ce qui peut nécessiter davantage de temps.
De l’arrosage des pelouses aux enquêtes touchant aux pratiques de grandes entreprises (...)
L’enjeu est alors de définir la chaine des responsabilités : « La collectivité a un prestataire qui sous-traite à une entreprise de nettoyage... La question est de savoir qui a fait quoi, qui n’a pas respecté les règles du contrat. » Le résultat de l’enquête est directement transmis au procureur qui décide de s’en saisir... ou pas (...)
« On se fait parfois recevoir avec un fusil »
« La police de l’eau est aussi une police administrative », précise Thierry*, qui considère son métier comme « ultra technique ». Quand des projets, comme une zone commerciale, sont susceptibles de menacer l’environnement, il mène des visites de terrain et fournit des avis au préfet. Ces inspectrices et inspecteurs assurent aussi des missions de connaissance des écosystèmes et d’inventaire des espèces, mettent en œuvre des projets de restauration ou de protection de l’environnement avec des collectivités ou d’autres partenaires. « Quand un dommage survient sur un écosystème, on sait caractériser l’impact. On est scientifiques avant d’être flics », résume Thierry.
Ces « flics » de l’environnement ne sont pas forcément les bienvenus. Localement, des agents font parfois l’objet de représailles. Leurs locaux ont par exemple été dégradés dans l’Allier et le Gard [3]. Dans le cas du barrage controversé de Caussade en Lot-et-Garonne, des menaces de mort auraient même été proférées [ (...)
« Quand les gens se sentent politiquement appuyés, ils hésitent moins à faire le coup de poing », confie un agent. Les inspecteurs de l’environnement évitent alors d’intervenir seuls et s’organisent pour être au minimum deux ou trois lors du contrôle. (...)
Quand le lobby irrigant fait plier les préfets
Au cours des dix ans passés comme inspecteur de l’environnement, Thierry a été confronté à des oppositions directes, telles des manifestations d’agriculteurs alors qu’il devait intervenir. Il existe cependant des entraves bien plus insidieuses. En ligne de mire, ce qu’il appelle « le pouvoir de nocivité des préfets ». Soumis à des pressions locales, les préfets useraient de différents moyens pour mettre des bâtons dans les roues aux inspecteurs de l’environnement.
« Sur la question de l’irrigation, un préfet peut avoir du mal à s’imposer face à des élus ou à la FNSEA [syndicat agricole majoritaire] », illustre Lucie évoquant l’exemple des arrêtés sécheresse. (...)
Plusieurs agents confirment la tenue d’une réunion présidée par un préfet en juillet, visant à monter l’alerte à un niveau supérieur. « Les agriculteurs autour de la table ont annoncé que si l’on passait en alerte renforcée, ils se mettraient tous en illégalité. Le préfet a répondu qu’il préférait, dans ces conditions, s’en tenir à ce seuil... Le poids du lobby est là ! » (...)
« Par des moyens détournés, on ne nous permet pas d’agir »
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« Les milieux aquatiques ne sont plus protégés des pesticides, et on ne peut rien faire » (...)
Face aux éventuelles pressions que pourraient subir les inspecteurs de l’environnement, la société civile a un rôle à jouer. « Le gouvernement parle beaucoup d’environnement et décline de nombreuses lois pour lesquelles les textes d’application n’existent pas, avance un agent. On a besoin que la société mette davantage la pression sur les questions environnementales, si l’on veut que les préfets comme les services centraux et le gouvernement soient mieux disant. Ils n’auront plus le choix. » Et en finiront peut-être, enfin, avec les effets d’annonce.