
Lundi 25 mars, 9h30, il y a déjà du monde dans la salle du Tribunal administratif (TA) de Melun, refaite il y a quelques années : pupitres et rangées de sièges de bois clair, micros que les magistrats ignorent, hélas. Des avocats, des gens de tous âges, de toutes origines, tendus. Une jeune africaine, sa fillette de deux ans dans les bras, une jeune femme enceinte, deux hommes, l’allure de cadres en WE, deux femmes très BCBG, quelques jeunes, un monsieur d’un certain âge.
Deux militants RESF accompagnent une jeune femme, française, mère de Mehdi, un petit garçon de 4 ans et demi, français lui aussi et handicapé. Anis, le père de l’enfant est marocain. Il a perdu ses papiers et son travail quand, après quatre années de mariage, le couple a divorcé. Mais les parents sont en bons terme et Anis prend largement son fils en charge.
(...) Arrivée de la présidente, jeune, visage fermé. Pendant toute l’audience, on la sent cramponnée au droit, refusant, comme certains magistrats dans ces situations, d’entrer dans les récits de vies chaotiques que peignent les avocats ou qu’évoquent les retenus. « J’applique la loi », fausse planche de salut des juges comme d’autres, en d’autres temps, se justifiaient d’un sommaire « J’exécute les ordres ».
Le défilé commence : un Indien, père de deux enfants d’une première union, il a une petite fille de deux ans qu’il tient dans ses bras d’une seconde union avec une française présente elle aussi, enceinte de jumeaux. Bientôt cinq enfants dont trois français et menacé d’expulsion ! Libéré. Un homme, Haïtien, en France depuis plus de 10 ans qui, naturellement, travaille : son patron, le monsieur d’un certain âge, horticulteur, se tient à ses côtés, expliquant avec véhémence qu’il a besoin de son employé que, visiblement, il apprécie beaucoup. Libéré aussi.
Un Egyptien atteint d’une hépatite C dont la police a décrété qu’il ne lisait ni n’écrivait le français mais qu’il le comprenait parfaitement faute de pouvoir lui fournir un interprète. On lui a même fait déclarer qu’il n’avait pas de compte bancaire alors que l’avocat brandit son chéquier. Sa compagne est présente et ne lui lâche pas la main. (...)
Sentiment, au sortir de ces sept heures d’audience et d’attente des décisions, d’un immense gâchis. Chacun des hommes extraits du Mesnil-Amelot a une vie ici, un travail, des activités, un milieu, souvent une compagne, parfois des enfants vivants ou à naître. Ils sont à l’évidence membres de plein droit de la société à laquelle ils apportent ce qu’ils sont, ce qu’ils font. La douzaine de policiers débonnaires, parfois indignés des missions qu’on leur impose, le sait et, parfois, le dit à demi-mot. La magistrate, la greffière, le public le savent. Mais la machine à broyer tourne, aveugle et stérile, pour qu’un ministre, Guéant hier, Valls aujourd’hui avec d’autres mots, assure, avec la conviction du bonimenteur qui vous fait les poches, « lutter contre l’immigration clandestine ».
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