Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Femmes de chambre
Sankara n’est pas mort
Article mis en ligne le 16 octobre 2013

Ce 15 octobre, le Burkina Faso célèbre les vingt-six ans de la mort de son leader révolutionnaire Thomas Sankara. Dans une Afrique de l’Ouest en profonde mutation géopolitique, sa pensée ainsi que les fruits de la révolution culturelle opérée ne cessent de porter le « peuple des hommes intègres » vers la patrie du Faso libre. Et, comme se plaisent à palabrer les burkinabés : « Si l’homme blanc a inventé la montre, nous, nous avons le temps »…

Entre les murs fraîchement édifiés du cimetière de Dagnoen, à quelques kilomètres du centre de Ouagadougou, repose le corps de Thomas Sankara, le président du Burkina Faso assassiné le 15 octobre 1987, lors d’un coup d’Etat[i]. Dans le terrain vague jonché de papiers brûlés et de plastiques amoncelés qui sépare le cimetière du quartier, une femme vocifère : « On arrête pas les idées avec des murs ! » « Non, tu n´y es pas du tout, ma sœur, répond un cycliste au vélo brinquebalant, ils ont construit le mur pour protéger la tombe des profanations ! » (...)

Enraciné dans la terre orange et sable, un vénérable baobab sait, lui, que rien ne pourra jamais briser la loi du nombre. Le 15 octobre 2007, pour la célébration du vingtième anniversaire de l’assassinat de Sankara, organisé en ce lieu par ses sœurs et sa femme, une foule imposante était présente au rendez-vous. « Nous sommes partis avec la caravane de la mémoire depuis le Mexique, raconte sa sœur Odile Sankara, ensuite nous nous sommes rendus en France, en Italie, en Suisse, au Mali et au Sénégal, avant de rentrer au Burkina pour le jour J. »

Le pouvoir a-t-il pris peur en découvrant une telle multitude ? Pour se recueillir sur la tombe du « capitaine »[ii], il faut désormais révéler son identité et accepter de figurer dans le registre des visites. (...)

On est loin d’une résurrection puérile entraînée par la fringale consumériste d’une icône. L’exigeant Sankara prônait une révolution par l’étude, la force de l’argumentation et la construction d’une culture populaire de la souveraineté. Sous le cagnard des longues années de silence, cet héritage a macéré les rues de « Ouaga ». Ayant pris le temps de méditer les erreurs et les idées fortes du « capitaine », un riche terreau politique et populaire recouvre aujourd’hui le trottoir des hommes intègres. La mise en friche a été effectuée, la culture semée. (...)

À voix moins basses, chacun s’accorde pour constater que le système touche à sa fin et que, depuis vingt-cinq ans, il a démontré toute son impuissance. De 1983 à 1987, sous Sankara, le peuple burkinabé avait accompli – à travers les programmes établis par le gouvernement du Conseil National Révolutionnaire (CNR) – des avancées spectaculaires dans les domaines décisifs : émancipation des femmes, alphabétisation, reforestation, souveraineté alimentaire, maîtrise de l´eau et de l’agriculture. La révolution ne luttait pas seulement pour sa patrie du Faso, elle visait la libération totale de l´Afrique et l’émancipation de l’homme et de la femme de tout système d´exploitation. (...)

La bombe Sankara, ce sont ces jeunes qui redécouvrent la pensée du « capitaine » et l’étudient. Les musiciens et les rappeurs apportent aussi leurs contributions au soulèvement de la chape de plomb. Dans la touffeur des motos et l´asphyxie des dernières gouttes de pétrole libyen, les jeunes hommes échangent depuis leurs portables chinois les mp3 des grands discours de Sankara. Le soir, quand le soleil se couche enfin sur la capitale, de mémoire et par cœur, ils en récitent de longues strophes, rattrapant la palabre au vol si elle venait à trébucher sur une phrase ou un mot. (...)