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Mediapart
Rwanda : un document prouve l’ordre de la France de laisser s’enfuir les génocidaires
Article mis en ligne le 15 février 2021
dernière modification le 14 février 2021

Juillet 1994. Les principaux membres du gouvernement responsable du génocide des Tutsis sont dans une zone contrôlée par l’armée française. Leur arrestation est possible et même réclamée. Un document inédit, émanant du cabinet du ministre des affaires étrangères de l’époque, Alain Juppé, prouve aujourd’hui que la France a préféré les laisser partir. Il est signé de l’actuel patron de la DGSE.

ordre politique de laisser s’enfuir à l’été 1994 les principaux membres du gouvernement responsable du génocide des Tutsis au Rwanda, alors que leur arrestation était possible et même demandée, a été directement pris par le gouvernement français, selon un document inédit émanant du ministère des affaires étrangères.

Le massacre des Tutsis du Rwanda, dernier génocide du XXe siècle, a fait près d’un million de morts en cent jours, entre avril et juillet 1994.

Le document, dont Mediapart a pu prendre connaissance, apparaît vingt-cinq ans après les faits comme la pièce manquante de l’un des épisodes les plus sombres de la responsabilité française dans la tragédie rwandaise.

Il a été obtenu par le chercheur François Graner, auteur de plusieurs livres sur le Rwanda et membre de l’association Survie, qui a récemment pu accéder à des archives inexplorées de la présidence Mitterrand grâce à une décision du Conseil d’État. La plus haute juridiction administrative a mis fin, en juin dernier, à des années d’entraves orchestrées par les gardiens de la mémoire de l’ancien chef de l’État et de la politique de la France durant le génocide des Tutsis. (...)

Le document en question est un télégramme « confidentiel diplomatie » émis le 15 juillet 1994 par le cabinet du ministre des affaires étrangères de l’époque, Alain Juppé, aujourd’hui membre du Conseil constitutionnel, et adressé à l’ambassadeur Yannick Gérard, alors représentant du Quai d’Orsay auprès des militaires français envoyés au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise. (...)

Le message à transmettre semble si délicat que le cabinet Juppé demande à son ambassadeur de ne pas s’entremettre personnellement avec les génocidaires. « Vous pouvez en revanche utiliser tous les canaux indirects et notamment vos contacts africains, en ne vous exposant pas directement », peut-on lire dans le télégramme, qui a d’ailleurs pour titre : « Le département vous autorise à passer notre message de manière indirecte ».

« Vous soulignerez que la communauté internationale et en particulier les Nations unies devraient très prochainement déterminer la conduite à suivre à l’égard de ces soi-disantes autorités », précise encore le télégramme, qui, insistant de la sorte sur une décision à venir de la communauté internationale, offre un sauf-conduit au gouvernement génocidaire pour quitter sans la moindre anicroche le territoire sous contrôle français. Et passer au Zaïre. (...)

Un quart de siècle après la tragédie rwandaise, il n’y a aujourd’hui pas de doute sur le fait que la France savait qui étaient les organisateurs et commanditaires du génocide, et où ils se trouvaient. C’est donc en toute connaissance de cause que le gouvernement et l’Élysée les ont laissés filer. (...)

Dès le 16 juillet, c’est-à-dire au lendemain du télégramme envoyé par le cabinet Juppé, le lieutenant-colonel Hogard rencontre le chef de l’État du Rwanda pour lui faire savoir que lui et ses hommes doivent – et peuvent – partir dans les vingt-quatre heures. Et c’est ainsi que la France escorte du Rwanda à la frontière zaïroise parmi les principaux responsables politiques du génocide. (...)