
Des chercheurs marocains portent plainte contre la Banque mondiale, pour « faux, usage de faux, usurpation de biens et de noms », et soulèvent le problème des rapports entre chercheurs du Nord et du Sud...
Le programme RuralStruc est un programme d’étude et de recherche portant sur les « implications structurelles de la libéralisation pour l’agriculture et le développement rural », mis en œuvre par la Banque mondiale (BM) en collaboration avec la Coopération française et le Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA). A ce titre, le Centre de Coopération International en Recherche pour le Développement (CIRAD) avait détaché un de ses chercheurs auprès de la BM à Washington pour être le Task Team Leader (TTL) du programme. Sept pays ont été parties prenantes à ce programme (Kenya, Madagascar, Mali, Maroc, Mexique, Nicaragua, Sénégal), lequel devait se dérouler en deux phases au cours de la période 2006-2010.
En ce qui concerne la réalisation du programme au Maroc, la première phase avait été réalisée dans le cadre d’un contrat de recherche avec notre employeur, l’Institut Agronomique et Vétérinaire de Rabat, principale Institution d’enseignement et de recherche agricole du pays. Cette phase s’était bien déroulée, et le rapport que nous avions rédigé à cette étape du programme avait été si bien accueilli par les milieux des chercheurs et experts intéressés, que nous en avions décidé la publication, sous forme d’un ouvrage collectif |1|. Ce dernier a ainsi pu faire l’objet d’une vaste diffusion et susciter un débat qui devait très naturellement trouver son prolongement dans les résultats de la deuxième phase du programme RuralStruc.
Une deuxième phase qui tourne au cauchemar
Hélas, cette deuxième phase s’est au contraire très mal déroulée. Confiée à un bureau d’études privé pour la réalisation de la partie opérationnelle (enquête de terrain et traitement des données collectées), cette phase n’a pu être conduite à son terme dans les conditions de fiabilité et de professionnalisme nécessaires. (...)
alors que nous nous appliquions à mettre en évidence, « Notes méthodologiques » à l’appui, les nombreuses carences qui persistaient dans la base de données, le souci à la Banque mondiale était manifestement tout autre : il fallait surtout produire dans les délais « du chiffre », et autant que possible du chiffre qui conforte certaines idées reçues, voire préconçues… Pour cela, on n’a pas hésité à faire des choix méthodologiques scientifiquement plus que contestables, à « triturer » ce qui faisait fonction de « base de données » pour en sortir les chiffres qui convenaient, et le plus grave est qu’on allait ensuite nous « ordonner » de valider des données dont nous ne cessions de montrer qu’elles n’étaient pas fiables… Face à notre refus de nous plier à une aussi dangereuse dérive, le bureau d’études, en connivence avec ses donneurs d’ordres de la Banque mondiale, se permit de résilier unilatéralement notre contrat, puis de livrer le rapport que nous avions rédigé, mais après l’avoir « arrangé » conformément aux vœux de ses commanditaires. (...)
RuralStruc est un programme de recherche qui a réuni des chercheurs
de 7 pays différents sur une problématique de recherche, et des objectifs de recherche. C’est le « contrat moral » sur la base duquel nous avions accepté de nous y investir pleinement. Or, les responsables à la BM ont « oublié » cet engagement moral, préférant substituer aux chercheurs qu’ils avaient eux-mêmes sollicités, un bureau d’études notoirement défaillant, mais sans autre exigence que celle d’obtenir le paiement de ses factures…
Notre conclusion avait été on ne peut plus claire : « Dans son état actuel, ce rapport ne peut donc être validé scientifiquement et de ce fait, ne peut être utilisé d’une quelconque manière, encore moins être diffusé. Naturellement, les données et les analyses qui y figurent ne peuvent non plus être utilisées, notamment dans le cadre du rapport de synthèse international ».
Pourtant, la machine bureaucratique de la BM était déjà lancée. Un premier « rapport de synthèse internationale » sera rapidement « mis en circulation », poussant l’impudence jusqu’à nous citer en tant qu’auteurs et contributeurs, et présenter les résultats du Maroc comme s’ils n’avaient jamais été contestés ! Ainsi, après l’usurpation de biens, nous en étions à l’usurpation de noms. (...)
Après avoir épuisé les voies de recours à l’amiable, il fallait bien se résoudre à solliciter la voie judiciaire pour faire valoir nos droits. (...)