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Ruée sur le cobalt : le sous-sol congolais continue à aiguiser les appétits des multinationales
Article mis en ligne le 29 mars 2018

L’histoire se répète pour le peuple congolais. Aujourd’hui, à l’heure des téléphones intelligents et des voitures électriques, ce sont les vastes ressources en cobalt recelées dans le sous-sol de la RDC qui font l’objet de toutes les convoitises. Un juteux marché que se partagent pour l’essentiel le géant minier suisse Glencore et des acteurs chinois.

L’industrie extractive a historiquement joué un rôle central dans le pillage des matières premières non agricoles du sud de la planète par les pays occidentaux. Un rapport de la Commission économique pour l’Afrique rappelle ainsi que « la plus grande partie des capitaux privés étrangers investis en Afrique entre 1870 et 1935 est allée à l’industrie extractive et le gros des investissements publics coloniaux était destiné au développement de ce secteur » [1].

Un siècle plus tard, cette exploitation minière se poursuit à un rythme effréné, en dépit de sa contribution à la crise climatique et de ses effets négatifs indéniables sur les populations et leur environnement. Un tiers du patrimoine mondial naturel – notamment celui situé en Afrique – serait désormais menacé par l’exploration pétrolière, gazière ou minière, selon un rapport de 2015 du WWF [2]. Le secteur est aux mains de géants industriels tels que le suisse Glencore et ses 107 sociétés offshore, fondé par un homme d’affaires au passé sulfureux, Marc Rich [3].

Loin d’appartenir à un passé révolu, l’exploitation des richesses de l’Afrique par de grands groupes internationaux comme Glencore serait-elle même sur le point d’entrer dans une nouvelle ère ? C’est ce que pense Colette Braeckman, journaliste spécialiste de la République Démocratique du Congo : « Le cobalt, mais aussi les métaux rares, (niobium, germanium, antimoine, tantale, tungstène, graphite) sont les vecteurs essentiels des technologies nouvelles, celles qui nous permettront de dépasser l’ère du charbon, celle du pétrole et même celle du nucléaire et de nourrir non seulement nos véhicules, mais nos portables, nos ordinateurs, dotés de batteries rechargeables qui se retrouvent dans nos bureaux et nos maisons. » Le cobalt qui est justement en train de devenir l’un des marchés phares de Glencore.

Un boom du cobalt alimenté par la spéculation

Le cobalt entre, avec le lithium, dans la composition des batteries lithium-ion des téléphones de dernière génération, dits « intelligents » . Environ un quart de la production mondiale de cobalt est utilisée dans ces téléphones. (...)

S’il ne faut pas sous-estimer l’urgence et l’importance du combat contre le changement climatique, il est regrettable de constater l’absence de débat de fond sur les alternatives privilégiées, bien trop souvent imposées par des multinationales qui cherchent surtout à adapter leur quête de profits sur le court terme.

Le marché du cobalt est donc en ébullition (...)

Le sous-sol de la RDC encore une fois au centre des attentions

L’un des États les plus pauvres de la planète, la République démocratique du Congo (RDC), regorge pourtant de richesses. Mais elles ont systématiquement été exploitées, depuis la colonisation du pays par le roi des Belges Léopold II, au seul profit d’intérêts occidentaux : ressources hydrauliques, or, diamant, cuivre, coltan, uranium mais aussi désormais cobalt. Le pays, plus grand producteur de cuivre en Afrique, détient la moitié des réserves planétaires et assure à lui seul plus de la moitié de la production mondiale de cobalt, soit environ 66 000 tonnes en 2016 sur une production globale estimée à 123 000 tonnes la même année [5]. En RDC, les bénéfices de cette production se concentrent principalement entre les mains du géant suisse Glencore (mines de Kamoto Copper Company et Mutanda Mining), et des firmes chinoises China Molybdenum (TFM) et CDM. Glencore prévoit de produire environ 35 % de la production mondiale du précieux minerai attendue cette année 2018.

Cette concentration de la production de cobalt entre la RDC, plongée dans un profond marasme politique, et la Chine (2e producteur mondial) fait peser un risque sur l’approvisionnement des multinationales comme Apple, Samsung, Volkswagen ou Tesla, très dépendantes de ces ressources. Volkswagen a d’ailleurs récemment annoncé sa décision de s’installer au Rwanda pour y bâtir une usine d’assemblage afin de se rapprocher des gisements de cobalt en RDC.

Fiscalité réduite

Pour autant, l’État congolais lui-même profite très peu des revenus du cobalt. (...)

Le code minier adopté en 2002 sous la dictée de la Banque mondiale et du FMI semble en effet excessivement favorable aux capitaux étrangers. Le taux de redevance qui y est inscrit n’est que de 2 % pour le cobalt et le cuivre. À titre de comparaison, d’après un rapport du FMI publié en octobre 2015, le taux de redevance sur le cuivre était de 4 % en Indonésie, 6 % en Zambie et jusqu’à 14 % au Chili [6]. Le boom de la production du cuivre au Congo, qui est passée de 450 000 à un million de tonnes depuis la fin de la guerre en 2002, n’a guère bénéficié à l’État – hormis à quelques intermédiaires bien positionnés –, ni a fortiori au peuple congolais. Cette fois, face à l’envolée des prix du cobalt, il semblerait que les autorités de RDC veuillent profiter plus largement de ce marché en expansion... mais sans pour autant donner de garanties en terme de redistribution et de transparence.

Intense lobbying autour du nouveau code minier (...)

En dépit d’un effort sans précédent de lobbying mis en branle de la part du secteur minier, le président a confirmé l’adoption du nouveau code révisé [9]. Cependant, d’après le ministre des Mines, Martin Kabwelulu, des arrangements seront toujours possibles dans le règlement minier annexé à la loi.

Même s’il tente un certain rééquilibrage des répartitions de richesses, ce nouveau code ne cible pas la corruption qui a pourtant gangrené le secteur. (...)

Au final, ces négociations semblent surtout avoir mis face à face deux camps de prédateurs se disputant le butin du Congo, extrait par des dizaines de milliers de Congolais dans des conditions souvent proches de l’esclavage.

Dans les mines, travail des enfants et esclavage moderne (...)

Ce sont les acheteurs qui fixent les prix, théoriquement selon les cours de la bourse de Londres, et les « creuseurs », qui ignorent tout de ces cours, survivent avec des salaires de misère. (...)

À qui profite l’exploitation du sous-sol de la RDC ?

Comme pour le pétrole au Nigeria [12], la matière première est siphonnée par de grandes multinationales puis exportée là où s’effectue la transformation génératrice de plus-value. « La RDC n’exporte pas de produits finis prêts à être utilisés par Apple, Samsung ou tous les grands utilisateurs de batteries au monde. Elle exporte un produit minier qui est au stade de traitement », souligne l’économiste et activiste congolais Florent Musha. Le traitement de raffinage profite principalement à la Chine, qui est le grand vendeur mondial de cobalt raffiné : des ports de Dar es Salaam ou du Cap en Afrique du Sud, la production congolaise part à 80 % en Chine où une dizaine de raffineurs assurent la transformation finale du minerai [13]. « L’exploitation des ressources naturelles ne profite en rien aux populations congolaises. Ça profite à une brochette de gens », se plaint Alexis Muhima, de l’Observatoire de la société civile pour les minerais de Paix, à Goma, dans l’est de la RDC [14].

« Vous allez vous rendre compte que du côté des opérateurs internationaux, la grande partie, ce sont des sociétés off-shore, dont on ne connaît même pas en réalité, les véritables actionnaires, et ça, ça laisse malheureusement la possibilité pour certains opérateurs politiques, d’être à la fois acteurs économiques et à la fois opérateurs politiques. C’est en cela que ça représente un conflit d’intérêt complètement inacceptable, qui nous amène à la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui », explique Al Kitenge, un analyste économique [15]. (...)

Pendant ce temps, la répression continue

Rossy Mukendi, l’activiste membre du mouvement citoyen « Collectif 2016 », a été abattu par balles en marge d’une manifestation pacifique contre Kabila ce 25 février à Kinshasa. Selon l’Association africaine pour la défense des droits de l’homme, Asadho, il figurait sur une liste de 419 noms de militants aux mains des services de renseignement pour être neutralisés.