
Les réfugiés coincés en Grèce n’ont quasiment plus qu’une option pour rejoindre le nord de l’Europe : la voie illégale. Au centre d’Athènes, le business des passeurs est florissant et leurs tarifs ne cessent de grimper.
Mercredi, 20h15. À la tombée de la nuit, la rue Acharnon –cinq kilomètres de long qui relient le centre dégradé d’Athènes à la banlieue– commence à s’animer. Les cafés à narguilé se remplissent, les voitures se garent en double file, les Tziganes tentent d’écouler leurs stocks de fruits et légumes en pleine rue, des vendeurs à la sauvette de cigarettes de contrebande accostent les passants, les barbiers marocains et irakiens mettent de la musique orientale tout en coupant les cheveux de leurs clients jusqu’au bout de la nuit.
Qusai*, 22 ans, a lui rendez-vous dans un café égyptien d’Acharnon, la « rue des passeurs » ou « l’avenue arabe » comme la surnomme le jeune Syrien. Il doit justement retrouver un passeur qui lui déroule plusieurs cartes d’identité européennes. Qusai n’est pas convaincu, il repart bredouille, il n’a pas trouvé de documents disposant d’une photographie lui ressemblant. C’est le cinquième passeur qu’il rencontre sans succès. « Il y a quelques jours, j’ai trouvé une carte d’identité d’une personne d’origine syrienne ayant la résidence en Allemagne et qui pouvait me correspondre, le passeur a voulu me la vendre 1.000 euros sans aucune garantie. Si je passe et que je me fais arrêter à l’aéroport, je perds mes 1.000 euros… Les passeurs en profitent quand ils sentent que tu galères à trouver une carte d’identité, car normalement les prix oscillent entre 200 et 500 euros par papier », explique Qusai. (...)
les nouveaux arrivants sur les îles grecques doivent théoriquement attendre que leurs demandes d’asile soient étudiées avant de rejoindre le continent : soit ils pourront accéder au statut de réfugié en Grèce et avoir un laissez-passer pour aller jusqu’au port du Pirée, soit ils seront renvoyés en Turquie si ce pays a été jugé comme étant « un pays sûr » pour eux. Avec ce procédé, les services d’asile grecs sont débordés et les cinq îles de la mer Égée (Samos, Lesbos, Kos, Chios, Leros) qui servent d’hotspots, de centres d’identification et d’enregistrement, sont bondées. Les camps sont dans des conditions sanitaires déplorables.
Selon le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU, plus de 10.000 réfugiés se trouvent actuellement sur ces cinq îles, bien au-delà de leur capacité d’accueil. Certains, comme Qusai, arrivent à passer entre les mailles du filet et à s’échapper de cet enfer. (...)
Autour d’un narguilé, Abo Khaled raconte, entouré de ses deux associés : « Soit tu obtiens des papiers de réfugiés ayant obtenu des documents de voyage dans leur pays d’accueil, soit des cartes d’identité européennes volées. La première option est la plus sûre mais aussi la plus chère. Il faut compter entre 4.000 et 5.000 euros pour un passage jusqu’en Allemagne ou en Suède ».
Mieux vaut attendre « l’été lorsque les touristes égarent leurs cartes d’identité, qu’il y a plus de documents disponibles, et qu’il est plus facile de se fondre dans la foule ».
Abo Khaled, passeur. (...)
Mais comment être sûr que le passeur ne te vole pas ? « Nous utilisons des bureaux de garantie, des magasins en apparence tout à fait normaux, des restaurants, des épiceries, des boutiques de téléphones, où est déposé l’argent du candidat au passage. Le passeur n’empoche la somme totale qu’une fois que la personne est arrivée à destination finale. Mais ce système coûte cher, je dois payer 50 euros pour que mon argent soit garanti pendant quinze jours et tenter de passer dans ce laps de temps », souligne étonnement confiant Milad. Le passeur paie lui aussi 50 euros de son côté au bureau de garantie. (...)
Par le bouche-à-oreille, les réfugiés s’adressent à Abo Ghassan pour envoyer ou recevoir de l’argent. Qusai échange des messages en permanence avec sa mère sur WhatsApp. Ce matin, elle a rencontré un partenaire d’Abo Ghassan à Damas, il lui a transmis un code que son fils doit donner à Abo Ghassan pour récupérer la centaine d’euros qu’elle veut lui envoyer. L’échange est bref. Abo Ghassan garde 5% de frais. « Par Western Union ou d’autres systèmes de transferts, tu ne peux pas envoyer facilement de grosses sommes. Quand il faut payer le passeur 5.000 euros par exemple, comment fais-tu ? C’est un système qui permet aussi de ne pas donner de papiers, de carte d’identité si tu n’en as pas comme moi », commente le jeune Damascène. (...)