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le Monde Diplomatique
Renaissance d’une exigence Plafonner les revenus, une idée américaine
Sam Pizzigati Chercheur associé à l’Institute for Policy Studies (Washington, DC) et rédacteur en chef du site Too Much.
Article mis en ligne le 20 juin 2012
dernière modification le 14 juin 2012

Si la pauvreté soulève une indignation unanime — il faudrait la combattre pour rendre le monde plus juste —, la fortune est plus rarement perçue comme un problème. Mais, avec la tempête financière, le lien entre l’une et l’autre refait surface. En même temps qu’une idée née aux Etats-Unis il y a plus d’un siècle : limiter les revenus des plus riches.

(...) Au nombre des revendications portées par les militants du mouvement Occuper Wall Street, il en est une qui plonge profondément ses racines dans l’histoire des Etats-Unis : l’instauration d’un plafond pour les hauts revenus. Depuis l’époque dorée de l’après-guerre civile américaine, les grandes mobilisations en faveur de la justice économique ont toujours énoncé cette demande, aujourd’hui appelée « salaire maximum ». Cette formule n’englobe pas seulement le salaire, mais la totalité des revenus annuels ; elle permet de créer un lien de familiarité avec la notion de « salaire minimum ». (...)

Le groupe qui soutient cette mesure, l’American Committee on War Finance, rassemble deux mille volontaires à travers le pays. Il publie dans les journaux des coupons détachables que les lecteurs peuvent signer, s’engageant ainsi à « œuvrer pour la promulgation rapide d’une loi » sur la limitation des revenus : une « conscription de la richesse », selon les mots du comité. « Si l’Etat a le droit de confisquer la vie d’un homme pour satisfaire à l’intérêt général, alors il doit certainement pouvoir réquisitionner la fortune de quelqu’un pour les mêmes raisons », déclare son président, l’avocat Amos Pinchot, devant le Congrès, avant de souligner que 2 % des Américains détiennent 65 % de l’ensemble des richesses du pays.
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Pinchot et ses camarades progressistes n’ont pas obtenu gain de cause, mais leur campagne a profondément modifié la fiscalité nationale : le taux supérieur d’imposition sur les revenus dépassant le million de dollars passe de 7 % en 1914 à 77 % en 1918.

La « peur rouge » qui suit la première guerre mondiale (3) anéantit les espoirs d’une Amérique plus égalitaire. (...)

Mais la crise de 1929, qui mène l’économie au bord de l’effondrement, change à nouveau la donne.
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En juin 1935, le président Franklin D. Roosevelt scandalise l’Amérique fortunée en annonçant son intention de « faire payer les riches » pour résoudre la crise. Il crée alors une taxe de 79 % sur les revenus supérieurs à 5 millions de dollars
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en 1944, le Congrès fixe le taux d’imposition des revenus supérieurs à 200 000 dollars à un niveau inégalé : 94 %. (...)

Au cours des deux décennies suivantes — une période de grande prospérité pour la classe moyenne américaine —, le taux d’imposition supérieur tourne autour de 90 %, avant de tomber à moins de 70 % pendant la présidence de Lyndon Johnson (novembre 1963-janvier 1969). Sous Ronald Reagan, ce taux fond encore, pour atteindre 50 % en 1981, puis 28 % en 1988. Aujourd’hui, il s’élève à 35 %. C’est déjà trop, selon certains (...)

Le débat s’est déplacé. Aujourd’hui, les héritiers d’Adler, Pinchot et Long se focalisent sur les entreprises plutôt que sur les individus. Selon eux, les différents échelons du pouvoir (local, d’Etat, fédéral) devraient tirer profit du fait que les entreprises privées reçoivent de l’argent public — sous la forme de commandes de l’Etat, de subventions au « développement économique » ou d’avantages fiscaux — pour exiger d’elles de nouvelles politiques salariales. Aucun dollar provenant des impôts ne devrait aller dans les caisses d’entreprises qui paient leurs dirigeants dix, vingt, voire cinquante fois plus que leurs salariés
(...)
Le but ultime ? Un vrai salaire maximum, indexé sur le salaire minimum, qui prendrait la forme d’une fiscalité fortement progressive, ainsi qu’Adler l’a proposé il y a un siècle. Le maximum serait défini comme un multiple du minimum et tout revenu supérieur à dix ou vingt-cinq fois ce minimum serait frappé d’un impôt de 100 %. Cette disposition encouragerait et nourrirait presque immédiatement une forme d’économie solidaire : pour la première fois, les plus riches auraient un intérêt personnel et direct au bien-être des moins riches.

Avant le mouvement Occuper Wall Street, une telle perspective s’apparentait à un fantasme politique. Plus maintenant. Signe des temps : deux éminents universitaires américains, l’un juriste à Yale et l’autre économiste à Berkeley, viennent de publier dans le New York Times un plaidoyer convaincant pour une réforme fiscale qui limiterait le revenu moyen des 1 % d’Américains les plus riches à trente-six fois le revenu médian (6). Nous considérons aujourd’hui le salaire minimum comme un acquis social. Pourquoi pas le salaire maximum ?

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