Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
le Monde Diplomatique
Réhabiliter l’impôt, dissiper les faux-semblants
Jean-Christophe Le Duigou Economiste, syndicaliste, auteur notamment de Réinventer l’impôt, Syros-La Découverte, Paris, 1995, et coauteur du Petit Livre des retraites (à l’usage de ceux qui veulent les défendre), L’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2010
Article mis en ligne le 9 octobre 2011
dernière modification le 6 octobre 2011

Alors que les déficits publics s’accumulent, la course au moins-disant fiscal se poursuit. M. Barack Obama a prolongé les baisses d’impôts pour les plus riches. En France, M. Nicolas Sarkozy veut supprimer l’impôt sur la fortune. Des économistes socialistes cherchent un peu plus de justice, tout en restant dans le même cadre. N’est-il pas temps d’aller plus loin ?

(...) Pendant trente ans, les gouvernements successifs ont vécu avec l’illusion de la solidité de notre système de finances publiques. Quelles que soient les difficultés, les services publics continuaient à fonctionner. Les budgets assumaient tant bien que mal les conséquences de la montée du chômage. La décentralisation permettait de transférer des charges de financement importantes aux collectivités territoriales. En contrepartie, l’Etat, via un endettement en forte croissance, devenait le principal soutien des marchés financiers — au point de former avec eux un couple indissociable. (...)
En France comme ailleurs, le conformisme a dominé le débat sur la politique économique, les fiscalistes ne contribuant guère à son renouvellement. La réduction des prélèvements sur le capital et ses revenus fut ainsi le nec plus ultra des choix proposés. Gauche et droite, successivement, ont creusé ces fameuses « niches » qui font de notre système de prélèvement un gruyère, où coexistent des taux d’impôts et de cotisations apparemment élevés et des assiettes (1) réduites, au moins pour tout ce qui n’est pas rémunération salariale. Les exonérations ciblées étaient déjà nombreuses. Mais en cinq ans, de 2003 à 2008, l’ampleur des cadeaux octroyés a augmenté de 47 %, passant de 50 à 73 milliards d’euros (2).

Désormais, en dépit des tentatives d’en reculer l’échéance, l’augmentation des prélèvements paraît inéluctable. (...)

Preuve, une nouvelle fois, comme le disaient à la fois Karl Marx et Joseph Schumpeter, que « l’impôt est la base matérielle de l’Etat ».

(...)

Les revenus du capital, intérêts et dividendes, bénéficient de privilèges exorbitants. Selon les données de la comptabilité nationale, ils échappent à 80 % à l’impôt progressif en raison de multiples régimes dérogatoires. Mais presque autant — 60 % exactement, selon les chiffres de Piketty — échappe également à la CSG. Peut-on dès lors considérer ce prélèvement comme « la plus importante tentative de modernisation de la fiscalité française » parce que l’on a inclus 20 % supplémentaires de revenu du capital dans l’assiette ? La CSG reste un prélèvement dont la base est quand même composée à près de 90 % de revenus salariaux ! Peut-on se limiter à cet ajustement à la marge de l’imposition des revenus de la propriété ? (...)

On continue ainsi à occulter le fait que le phénomène massif de non-imposition ne vient pas d’un mauvais impôt sur le revenu, mais de l’ampleur des faibles revenus et du développement des petits boulots, des temps partiels, du chômage et, d’une manière plus générale, du phénomène des travailleurs pauvres. Est-ce vraiment renforcer la légitimité de l’impôt sur le revenu que de vouloir assujettir tout ou partie de ces dix-sept millions de personnes à l’impôt direct sans toucher à la formation des salaires ?

Plus problématique encore : le changement de nature, sous couvert de cette réforme, de la protection sociale. Faire dépendre un peu plus du budget de l’Etat le financement de la protection sociale conduit à franchir un nouveau pas dans son étatisation. (...)

Un Etat aux abois n’est pas la meilleure garantie quant à la priorité donnée aux dépenses sociales. (...)

Redistribuer c’est bien, mais cela laisse en effet de côté la distribution initiale des revenus, salaires et profits, avant intervention de l’impôt. Or cette « distribution primaire » est devenue de plus en plus injuste. La hausse du taux de prélèvement ne peut, à elle seule, corriger cette inégalité. (...)

Le partage de la valeur ajoutée des entreprises privées a évolué en défaveur des salaires et en faveur des profits. (...)

Loin d’être neutre économiquement, l’impôt peut influer sur ce que l’on produit, sur la manière de produire, sur l’accès des personnes à un vrai travail. Son rôle incitatif ou dissuasif est admis en matière environnementale. Pourquoi se refuserait-on à en faire de même en matière économique et sociale ? Parmi les principales propositions qui doivent être discutées, retenons le principe d’un prélèvement social sur les revenus du patrimoine et des capitaux mobiliers pour contribuer au financement de la dépendance, la modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’affectation des bénéfices, une réforme de la cotisation chômage pénalisant les entreprises qui usent et abusent de la précarité, une contribution sociale des entreprises assise sur leurs actifs financiers…
(...)
Dissuader la croissance financière, inciter les banques à financer l’activité économique, sanctionner l’usage des paradis fiscaux, imposer les plus-values, favoriser l’entreprise qui développe l’emploi et les salaires… autant de pistes — dont certaines doivent être poussées au plan européen — qui permettraient une réarticulation entre les logiques de redistribution et l’incitation à mieux utiliser toutes les richesses disponibles. Voilà pourquoi il faudrait, en même temps que de l’impôt sur le revenu, se préoccuper de la réforme de l’impôt sur les sociétés et, plus globalement, de l’évolution indispensable des prélèvements sociaux dans l’entreprise et fiscaux sur le capital.

(...) Wikio