
« A suivre la voie allemande, on va droit à la guerre, et nous y allons dans les conditions les plus défavorables pour l’Axe, et tout spécialement pour l’Italie. » Ce 6 août 1939, l’analyse du jeune ministre des affaires étrangères et numéro deux du régime fasciste italien, Galeazzo Ciano, témoigne d’une certaine lucidité (1). Arraché à l’oubli, le journal politique de celui que son beau-père Benito Mussolini fit exécuter pour haute trahison en 1944 est réédité pour la première fois en France depuis 1946. Rien d’étonnant : le fascisme italien suscite de nombreux débats portant sur sa nature et son héritage.
Notre époque prête une attention particulière aux interprétations du fascisme comme passage regrettable mais nécessaire vers la pleine réalisation de l’unité de l’Italie, que les accords du Latran (1929) passés entre le pape Pie XI et Mussolini venaient tout juste de conforter, après les humiliations essuyées lors du premier conflit mondial. C’est dans cette tendance que s’inscrit l’essai que le professeur de droit Sabino Cassese consacre aux institutions du régime et à leurs relations avec l’histoire longue de l’Etat pré- et post-fasciste (2). Selon lui, « l’Etat fasciste n’est pas une parenthèse dans l’histoire unitaire italienne, mais seulement un pont entre “l’avant” et “l’après” : une longue et douloureuse transition ».
D’autres ouvrages permettent de saisir et de mettre en perspective la spécificité du fascisme. Spécificité perturbante : ce mouvement est tout à la fois antidémocratique, antilibéral (avec, parfois, quelques accents antibourgeois), conservateur, antimarxiste (mais porteur d’une rhétorique anticapitaliste), nationaliste, impérialiste, belliqueux et... révolutionnaire autoproclamé. Contre le monde issu des Lumières, il prône l’avènement dans tous les domaines d’un ordre nouveau, au service d’un idéal de modernité. Le régime, qui souhaitait organiser la fusion intégrale des individus et du peuple dans l’Etat, promut à cette fin, sur un mode autoritaire et répressif, un projet de collaboration de classes mensonger entre les travailleurs et la bourgeoisie...