Depuis septembre, plusieurs radios de la province de l’Ituri ont décidé d’interrompre des émissions sur la lutte contre le virus en raison de l’hostilité de la population.
Les efforts de confinement de la maladie ont été entravés par les violences armées, ainsi que par les attaques contre des agents de santé qui luttent contre Ebola au sein d’une population où règne souvent la méfiance envers les étrangers et la superstition.
En avril, un épidémiologiste camerounais de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le docteur Richard Valery Mouzoko Kiboung, avait été tué à Butembo (Nord-Kivu) dans une attaque de miliciens contre une équipe de lutte contre Ebola. Au moins un infirmier et un policier ont aussi été tués dans des circonstances similaires depuis le début de l’épidémie.
246 310 personnes vaccinées
Plusieurs agents des équipes de riposte ont été agressés ou blessés par des habitants au cours d’inhumations de victimes d’Ebola. Les proches, traditionnellement habitués à toucher les défunts, refusent souvent d’être privés de cette coutume. Ebola se transmettant par tout fluide corporel, les équipes sanitaires font en sorte d’éviter toute contamination en s’occupant des enterrements. En septembre, une vingtaine de maisons d’agents de santé engagés contre Ebola ont été incendiées par des milices dans la région de Mambasa.
L’actuelle épidémie d’Ebola est la dixième sur le sol congolais depuis 1976 et la deuxième la plus grave de l’histoire après celle qui a fait quelque 11 000 morts en Afrique de l’Ouest en 2014. (...)
Samedi, les autorités ont annoncé avoir réceptionné un premier lot de 11 000 doses d’un deuxième vaccin anti-Ebola, en provenance de la Belgique. Ce deuxième vaccin, développé par Johnson & Johnson (administré en deux doses à cinquante-six jours d’intervalle), doit être introduit mi-novembre dans les zones où le virus est absent. La stratégie vise à « immuniser le plus grand nombre de la population », selon le ministère de la santé. (...)
Depuis le début de la vaccination le 8 août 2018, 246 310 personnes ont été vaccinées.
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Quatre cas ont été diagnostiqués à Goma, la capitale du Nord-Kivu. Depuis le 1er août 2018, 1 800 personnes ont perdu la vie. Les attaques de groupes armés et la défiance d’une partie de la population freinent les activités de la structure chargée de la lutte contre l’épidémie. (...)
Un an après le retour du virus en RDC, la situation épidémiologique semble incontrôlable, malgré l’importante mobilisation de la communauté internationale. Les épicentres se sont déplacés du Nord-Kivu vers l’Ituri, puis se sont multipliés, comme par scissiparité, dessinant plusieurs fronts dans une « guerre » partie pour durer.
Urgence sanitaire mondiale
« Il est temps que le monde entier prenne note de la situation et redouble d’efforts », a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette agence des Nations unies (ONU), qui coordonne la Riposte, la structure de coordination de la lutte contre Ebola, en appui des autorités congolaises, a fini par décréter, le 17 juillet, l’état d’urgence sanitaire mondiale. (...)
A cela s’ajoute la défiance d’une partie des populations, qui perçoit la Riposte comme un instrument du pouvoir politique contesté de Kinshasa. Au déclenchement de l’épidémie, les équipes dépêchées par le ministère congolais de la santé et l’OMS ont fait l’erreur de privilégier les élus locaux plutôt que les structures communautaires et la société civile, l’élite politique plutôt que les chefferies coutumières, souvent plus influentes. (...)
La Riposte a fait une autre erreur : snober les centres de santé publics et privés, souvent dans des états déplorables, mais tenus à bout de bras par du personnel issu des communautés. D’autant qu’une grande partie des contaminations s’y déroule, car les malades préfèrent ces dispensaires locaux aux centres de traitement d’Ebola effrayants. (...)
« Il nous semble important de démontrer que la riposte Ebola permet de renforcer les centres de santé existants et non de les affaiblir en favorisant un système parallèle pour les malades d’Ebola », explique-t-on chez Médecins sans frontières (MSF), qui milite pour la gratuité des soins. (...)
Désavoué, le ministre congolais de la santé, Oly Ilunga, a démissionné le 22 juillet et a affirmé avoir subi des « pressions de toutes parts ». Dans un entretien accordé au Monde, M. Ilunga révèle notamment « des tentatives d’introduction illégale » du vaccin expérimental mis au point par un laboratoire belge, filiale du groupe américain Johnson & Johnson, qui dément fermement ces accusations. « Ce vaccin que nous n’imposons pas, mais que nous proposons, est en cours d’utilisation en Guinée et au Liberia, mais aussi à Mbarara, en Ouganda », a précisé M. Muyembe Tamfum. De son côté, le Groupe stratégique consultatif d’experts de l’OMS a préconisé son introduction.
Une gestion des fonds tortueuse
Pour l’instant, seul le vaccin, lui aussi expérimental, développé par le géant pharmaceutique américain Merck est utilisé. Toutefois, plusieurs acteurs de terrain dénoncent des quantités insuffisantes et une gestion opaque des réserves de doses par l’OMS. (...)
« On constate un manque de transparence par rapport à la quantité de vaccins disponibles en RDC et déployables sur le terrain, en plus de ce qui reste en stock mondial », souligne Ghassan Abou-Chaar, responsable adjoint de la cellule d’urgence de MSF.
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Il en va de même pour la gestion des fonds, dont une partie demeure tortueuse. Et ce, malgré des audits de la Banque mondiale, l’un des principaux soutiens financiers, pointant quelques anomalies. « Des fonds ont été bloqués par l’OMS et le ministère congolais de la santé. Certaines ONG agissant sur le terrain ont eu un mal fou à en bénéficier », confie un acteur de la Riposte. Toutefois, la Banque mondiale a récemment annoncé l’octroi de 300 millions de dollars (271 millions d’euros), sous forme de dons et de prêts. Ce qui correspond au montant réclamé par l’OMS et Kinshasa pour cette nouvelle phase de lutte contre Ebola. Soit le triple du budget alloué jusque-là.
Une manière d’alerter derechef sur cette « urgence » mondiale, qui indiffère une bonne partie du monde, inquiète toute l’Afrique des Grands Lacs et continue de tuer, aux confins d’une région traumatisée par des décennies de violence.