
(...) La Biopiraterie, telle qu’elle est définie par des organisations non gouvernementales est l’action de s’approprier à des fins commerciales et sans contre partie ou de façon illégitime, des connaissances que des communautés autochtones et locales voire des États ont développées sur l’usage ou la gestion des ressources naturelles présentes dans leur environnement. La marchandisation de la biodiversité et des savoirs associés par des entreprises peut aller très loin. Ceux qui déposent des brevets sur des gènes, des espèces ou des connaissances associées, dépossèdent ces communautés et ces Etats de leurs savoirs et d’opportunités de valorisation, que ce soit pour eux-mêmes ou dans l’échange marchand ou non marchand. .
Partout dans le monde des peuples se sont battus pour faire reconnaître leurs droits, leur souveraineté et leur culture. Au niveau international, leurs demandes sont portées notamment par l’Organisation des Nations Unies. En 1992, la Convention sur la diversité biologique redéfinie notamment la relation entre le savoir et les hommes et en 2007, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est adoptée (...)
Aujourd’hui le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages découlant de leur utilisation relatif à la convention sur la biodiversité met plus d’ordre et d’équité dans ces relations commerciales qui intéressent notamment les marchés de la pharmacie, de la cosmétique, du bien-être et de l’alimentation. Il vise notamment à ce que l’usage des connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques des communautés autochtones et locales, soit soumis au consentement préalable libre et informé de ces dernières, et rétribué par un partage des avantages monétaires et/ou non monétaires qui soit juste et équitable.
Ce Protocole a été ratifié par une soixantaine de pays, dont l’Union Européenne, et est entré en vigueur le 12 octobre 2014, juste avant l’ouverture de la 12e Conférence des Parties à la Convention en Corée du Sud. (...)
Beaucoup de communautés autochtones se mobilisent pour préserver leurs ressources, leur environnement, leurs savoirs. Ces communautés cherchent par elles-mêmes à développer leur autonomie et à couvrir leurs besoins. Mais qu’elles le veuillent ou non, elles sont reliés à l’économie mondiale. A partir du moment où certains de leurs besoins nécessitent des revenus monétaires (santé, transport, éducation, …) elles sont confrontées aux réalités de cette économie mondialisée, auxquels elles peuvent difficilement échapper.
Je répondrais aux idéologues que l’autosuffisance n’est pas l’autarcie, et que de nombreuses communautés autochtones perçoivent les échanges commerciaux comme un des moyens de leur autonomie, à condition que ceux-ci se réalisent dans un commerce équitable, ce qui bien sûr est loin d’être toujours le cas. (...)
Notons d’ailleurs que ces communautés autochtones ont un rapport à leur environnement naturel et aux écosystèmes différents du nôtre. Respectons les équilibres qu’elles ont su maintenir. Les partenariats qui peuvent se construire par le biais d’un commerce équitable doivent être basés sur la confiance réciproque et avoir pour objectif de préserver la biodiversité et de développer des activités contribuant à l’autonomie de ces communautés, dans le respect des écosystèmes. (...)
On ne se présente pas devant une communauté amazonienne en vantant en guise d’introduction ou de préalable les bienfaits de la démocratie, de la parité Homme-Femme, de la nécessité pour les petits producteurs de se rassembler en coopératives. Ces communautés ont une organisation différente des nôtres. Par exemple, la formalisation d’échanges commerciaux peut être à soumettre à un chef de village, qui lui-même la discutera avec le Conseil de la Tribu. De plus leur culture inclut bien souvent une relation avec la Terre de nature spirituelle profonde qui nous est inconnue. Je ne m’étendrais pas sur le sujet, mais leur rapport aux produits offerts par la Nature est étroitement lié à ces croyances religieuses ou spirituelles.
Le développement du commerce induit toujours des changements et des répercussions sur les modes de vie des communautés locales. Selon moi, la seule façon de procéder est de « co-construire » avec elles de nouveaux équilibres, sur la base de projets à développer dans le cadre d’échanges équitables. Or être équitable, c’est rémunérer non seulement le travail de production des ressources végétales ou animales (cueillette, agriculture, élevage), mais aussi de production des savoirs, tout en respectant l’organisation de leur société, leurs cultures et croyances. Les cahiers des charges du commerce équitable n’incluent pas toujours toutes ces dimensions. Le Protocole de Nagoya est un excellent levier pour engager ce mouvement de co-construction. (...)
je constate un certain retard pris par les organismes fédérateurs du commerce équitable pour intégrer ces enjeux. Par exemple la conformité au protocole de Nagoya pour des produits relevant des ressources génétiques et des savoirs traditionnels afférents ne figure toujours pas dans les cahiers des charges des labels et autres systèmes de garantie du commerce équitable. (...)
J’ajoute que je connais au moins un autre référentiel qui s’approche des exigences du protocole de Nagoya. Il s’agit du label Forest Garden Products (FGP)... Celui-ci appartient au Réseau International de Foresterie Analogue. En Europe il est accrédité en tant qu’organisme certificateur des produits biologiques, mais il va plus loin que ces conditions. FGP privilégie la restauration de la biodiversité comme critère de base, en lien avec un équilibre des relations commerciales.
En guise de conclusion
Depuis plus de 40 ans, le mouvement du commerce équitable est un levier pour une transformation des relations commerciales internationales. Le premier, il a imaginé et concrétisé une nouvelle façon de concevoir les échanges commerciaux, respectueuse de toutes les parties prenantes, et de l’environnement local.
Le Protocole de Nagoya vise à préserver la richesse de la biodiversité, et à rétribuer les communautés autochtones et locales pour leur contribution à cette préservation et à la connaissance des écosystèmes locaux. Il contribue ainsi à préserver les moyens de subsistance des communautés qui dépendent de ces écosystèmes, tout en leur permettant de continuer à vivre sur la terre de leurs ancêtres. N’est-ce pas là l’un des objectifs du commerce équitable ?
En intégrant jusque dans ses standards la spécificité des communautés autochtones et locales et leur rôle dans la protection de la biodiversité, le mouvement du commerce équitable aurait une opportunité de s’approprier des enjeux qui engagent la communauté internationale au travers du protocole de Nagoya. Je suis persuadé que le mouvement du commerce équitable peut-être un acteur exemplaire d’une bonne application de ce protocole.