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le Monde Diplomatique
Que cache l’engouement pour les relocalisations ?
Article mis en ligne le 26 avril 2012
dernière modification le 24 avril 2012

L’automobile américaine qui se redresse ; l’industrie allemande qui s’exporte ; la relocalisation d’unités de production qui pointe... Mais derrière les déclarations se cachent des réalités moins reluisantes.

Difficile de mettre en doute l’urgente nécessité d’un retour de l’industrie, après un mouvement massif de la production vers les périphéries. On peut y voir un moyen de faire baisser le chômage et de ralentir le déclin — relatif — des économies du centre, mais aussi d’éviter les déséquilibres du commerce extérieur. Et ceux-ci revêtent une importance particulière dans le contexte actuel de la crise des dettes souveraines, car les institutions financières internationales (lesdits « marchés ») sanctionnent avant tout le cumul des deux déficits : celui du budget et celui du commerce extérieur. (...)

On rappellera d’abord que la désindustrialisation est un processus plus général et ancien que la délocalisation. Pour les économies du centre, l’entrée dans le néolibéralisme, au cours des années 1980, n’a pas signifié une rupture radicale. (...)

Un fait décisif, au cours de ces décennies, fut la stratégie industrielle choisie par les grandes sociétés, devenues transnationales. La situation américaine en éclaire une première modalité, la plus évidente : l’investissement direct à l’étranger, c’est-à-dire l’achat ou la création de filiales dans d’autres pays. (...)

Il est vrai qu’actuellement, dans les périphéries, les coûts salariaux par unité produite augmentent rapidement et tendent à rejoindre ceux des Etats-Unis. Cette convergence est reconnue par le président américain, qui l’impute à la hausse des coûts salariaux horaires en Chine. C’est un fait. Ces derniers augmentent au rythme étourdissant de 13 % par an (en prix constants, selon les données officielles pour les villes). La revalorisation de la monnaie chinoise est également en cause. Entre 2005 et 2012, le taux de change entre le dollar et le yuan a crû de plus de 30 %.Si l’on tient compte de la hausse des prix en Chine, plus rapide qu’aux Etats-Unis, la revalorisation est proche de 40 %. Ce mouvement se conjugue à la baisse des coûts salariaux aux Etats-Unis. Ce qui a déjà conduit des entreprises à rapatrier leur activité dans certains Etats américains (en Caroline du Sud, en Alabama ou encore dans le Tennessee (4)). La crise n’a fait qu’accélérer cette tendance, qui souligne le succès de la stratégie néolibérale de mise en concurrence des travailleurs des pays du centre avec ceux des périphéries. (...)

Vues d’Europe, ces tendances renvoient à la comparaison des performances des économies allemande et française. L’Allemagne aurait fait, nous dit-on, la démonstration du caractère soutenable de la mondialisation néolibérale malgré la concurrence des périphéries. La France serait à la traîne. Mais on ne saurait juger les performances industrielles allemandes sans en apprécier le prix. Est-ce sur de telles voies qu’il faut s’engager ? (...)

En dépit de ce que prétend le matraquage médiatique, l’économie allemande ne croît pas plus rapidement que l’économie française : au cours de la même période, les PIB des deux pays ont augmenté pratiquement au même rythme
(...)

On retrouve ici la question salariale. Un mécanisme essentiel fut la pression exercée, en Allemagne même, sur les coûts salariaux (salaires et cotisations sociales). Elle a été particulièrement forte et concentrée sur les bas salaires. (...)

Cette pression s’est combinée en Allemagne à des pratiques répandues de sous-traitance à des entreprises étrangères, notamment en Europe centrale.
(...)

Quelle que soit la diversité des expériences nationales, les processus de désindustrialisation et de réindustrialisation doivent être compris comme des rouages de mécaniques néolibérales. La désindustrialisation, c’est-à-dire la délocalisation de la production, fut un pur produit de cet ordre social, l’expression d’une forme de divorce entre les intérêts des classes supérieures des pays bénéficiant des profits réalisés par les entreprises transnationales d’une part, et l’économie territoriale des pays d’autre part. Pour celles-là, l’endroit où les revenus sont réalisés pèse peu face à la taille des profits. Les choses ont apparemment été mieux gérées de ce point de vue en Allemagne, mais, comme aux Etats-Unis, le prix à payer pour les salariés fut considérable — hormis pour les états-majors de gestion des entreprises, dont l’alliance avec les propriétaires des sociétés est l’un des piliers du néolibéralisme. (...)

Tant que le cadre néolibéral général, dans toutes ses composantes (7) − hégémonie des classes capitalistes et des institutions financières, ralliement des cadres gestionnaires et administratifs, financiarisation et mondialisation −, ne sera pas remis en question par ce qu’on pourrait appeler, en pensant aux Etats-Unis de l’après-guerre, une « répression de la finance », toutes les tentatives engagées pour lutter contre le processus de désindustrialisation, quel que soit leur succès, sont régressives et le resteront. Elles sapent ce qu’il reste des conquêtes populaires des décennies antérieures, sans contribuer clairement au rétablissement de la croissance et à la restauration de l’emploi.

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