
Dans leur effort visant à élever l’économie au rang de science (et à travestir leurs préférences en fatalité), les libéraux jouissent d’un argument de poids : la consécration de leur spécialité par un prix Nobel ne l’assimile-t-elle pas à des disciplines aussi peu suspectes que la physique, la chimie ou la médecine ? A priori implacable, le raisonnement s’avère trompeur…
Le « Nobel d’économie » n’a été créé qu’en 1969, soit presque soixante dix ans après les premiers prix Nobel, et pas par l’industriel suédois. Son vrai nom ? « Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel ». Dans son testament, Alfred Nobel précise que les prix auxquels il donne naissance seront remis à des personnes de toute nationalité ayant « rendu un grand service à l’humanité ». Or les lauréats de la Banque de Suède proviennent presque tous de pays occidentaux et leurs travaux servent moins l’humanité en général que la partie qui profite du modèle économique en place. (...)
À travers le prix Nobel, les représentants autoproclamés de la « science » économique ont défendu la globalisation financière, promu l’idée d’efficience des marchés et prôné l’indépendance des banques centrales, tout en dénonçant la « nocivité » de l’État. Ils ont projeté sur le monde scientifique, et dans l’espace public, une idéalisation collective du marché centrée sur l’Occident et même, plus précisément, sur les États-Unis. Laquelle connaît un regain de vigueur dans les années 1980 et s’impose au même moment dans les organisations internationales (FMI, Banque mondiale).
Multiplier les entretiens sur des thèmes sans aucun rapport avec l’expertise récompensée Le « prix Nobel » permet à ses nouveaux lauréats d’occuper l’espace public et crée l’illusion qu’il existe un consensus entre experts, renforçant les effets d’autorité de la science économique. On le voit avec Tirole : il a multiplié les entretiens sur des thèmes sans rapport direct avec ses recherches, mais qui lui ont permis de promouvoir une vision néolibérale de l’économie. (...)
Un autre objectif est de laisser croire que l’économie est une science fiable, sinon exacte, même en présence de contre-performances manifestes des lauréats. (...)