
Le rapport sénatorial sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques a été récemment publié. Il révèle comment l’État a dépensé son argent en finançant des études et rapports plus ou moins pertinents. Cela concerne en premier lieu la gestion de la crise sanitaire, ce qui peut se comprendre. Mais qu’en a-t-il été pour les domaines du handicap, de la petite enfance, ou plus largement de la politique de la solidarité ? Voici quelques éléments éclairants issus de ce rapport.
Les « 1000 premiers jours » de l’enfant
Vous connaissez cette stratégie portée par Adrien Taquet Secrétaire d’État auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargé de l’Enfance et des Familles. Le Syndicat National des Professionnels de la Petite Enfance ne décolère pas. Il a pris connaissance du rapport sénatorial. L’attention des professionnels a été détournée par le rapport de la commission des 1000 premiers jours de l’enfant présidée par Boris Cyrulnik. Rapport intéressant et documenté. Mais « en même temps », Adrien Taquet demandait une série d’études auprès de la société RB Consulting (Roland Berger) qui finalement aura couté à l’État 25.565,60 euros. Ce travail a, semble-t-il, permis de mettre en œuvre des préconisations qui vont à l’inverse du rapport Cyrulnik.
La Délégation interministérielle de la transformation publique (DITP), censée assurer le suivi des réformes du gouvernement a évalué que la prestation de Roland Berger n’était « pas au niveau » et que « la valeur ajoutée sur le scenario de chiffrage [n’était] pas à la hauteur d’un cabinet de stratégie », pour une prestation de ce type. »
Laetitia Delhon rapporte dans le site l’assmat les propos de Boris Cyrulnik. Il s’est dit dans l’Obs « désorienté » par cette information et saisi de « honte » après avoir vu des experts anglais de sa mission « payer leur déjeuner à la cantine du ministère ». « Je me sens maltraitée et j’ai l’impression d’avoir été utilisée » a indiqué sur publicsenat.fr. Isabelle Filliozat, psychothérapeute et vice-présidente de la commission d’experts des 1000 premiers jours.
Le déploiement des plateformes de dépistage précoce des troubles autistiques
Cette mission d’accompagnement, dont le coût n’est pas précisé, a été réalisée en 2021 par Eurogroup Consulting et a obtenu la note de 2/5 par la DITP : ce dispositif a connu « une absence de temps complet, limitant la capacité de l’équipe à monter en compétence sur une mission au sujet technique. En ont découlé beaucoup de confusions ou d’approximation lors des entretiens en immersion et dans la formulation des modèles ». Seuls « un resserrement de l’encadrement de la manager et un engagement accru » ont permis un « atterrissage globalement satisfaisant des livrables » précise toutefois l’organisme chargé du contrôle des missions.
La réforme de l’aide juridictionnelle
C’est le cabinet Ernst et Young (EY) qui est à la manœuvre. Si l’équipe d’EY peut se prévaloir d’un « excellent niveau » sur l’analyse de données, elle a connu de grandes difficultés sur le pilotage des travaux informatiques, ce qui implique que ce sont les services publics DITP et le ministère de la Justice qui ont repris à leur compte cette partie de la prestation. La DITP conclut son audit en précisant que « certains livrables co-construits ont beaucoup été construits par la DITP ». Bref c’est le commanditaire qui à fait une partie du travail, mais a néanmoins payé une note 592.380 euros au cabinet privé.
Handicap : la « Communauté 360 » (...)
Moins de moyens humains, plus de recours aux cabinets privés.
L’État fait face à un démantèlement qui remet en cause ses capacités d’action et l’expose aux prestations extérieures du secteur privé. L’approfondissement de ce phénomène intervient avec la Révision générale des politiques publiques (RGPP) : un plan uniquement porté sur une logique d’économies comme l’avait revendiqué l’ancien président Nicolas Sarkozy, le 12 décembre 2007. Le « non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux », a porté un coup important à la capacité de la fonction publique de mener à bien ses missions.
Parmi les plus délaissés, le ministère des Solidarités dont le budget est masqué par celui de la Santé (...)
Le rapport sénatorial indique qu’en 2021, les dépenses de conseils de l’État au sens large ont dépassé le milliard d’euros, dont 893,9 millions pour les ministères et 171,9 millions pour un échantillon de 44 opérateurs. Il s’agit d’une estimation minimale car les dépenses des opérateurs sont en réalité plus élevées. Près de 85 % des dépenses sont concentrées dans 5 ministères : Intérieur, Économie et Finances, Armées, Transition écologique, et celui qui nous concerne, les ministères sociaux. Tout cela s’est déployé progressivement à bas bruit.
Mais pourquoi cette opacité ? Les consultants travaillent dans la discrétion, en accord et même à la demande de leurs clients. (...)
Les travaux et livrables fournis par McKinsey et divulgués à l’extérieur du [ministère] ne devront pas mentionner l ’intervention ou le nom de McKinsey, sauf obligation légale ». Cette exigence est reprise dans tous les devis du cabinet, qui rappelle à plusieurs reprises sa volonté de « rester en retrait ». Tout va bien alors ?