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Quand l’anti-fasciste Menno ter Braak (1902-1940) ciblait la rancune
/jean-claude-leroy
Article mis en ligne le 11 septembre 2022
dernière modification le 10 septembre 2022

Dans un contexte de fortes pressions politiques et idéologiques, alors que nombre de personnalités essaient d’accompagner la montée des fascisme et nazisme, ou de ses équivalents alentours (le parti national-socialiste hollandais…), dans un court et vif essai qu’il publie en 1937, le jeune écrivain hollandais Menno ter Braak condamne toute excuse accordée à cette force montante, tout en s’attachant à découvrir sinon à trancher le nœud gordien du phénomène.

Et son approche ne craint pas de paraître dérangeante ; en effet, pour lui, les démocraties libérales ont certes pris en charge l’instruction générale, mais elles ont négligé l’évolution du ressentiment qui s’ensuivrait pour beaucoup. Il instruit le procès de la mise en œuvre irresponsable du projet égalitaire. Pour ter Braak, une société qui prône l’égalité des droits pour tous les citoyens, mais ne peut satisfaire cette légitime aspiration, engendre inévitablement de la jalousie et de la rancune. Là où certains verront de l’émulation profitable, la meilleure place possiblement pour tous, on peut voir aussi bien une machine à fabriquer des « perdants par injustice ». L’auteur de ce livret surprenant déclare sans ambages : « La rancune est l’un des phénomènes majeurs de notre culture, à laquelle elle est indissolublement liée… » Tout simplement, parce que l’égalité demeure inatteignable autrement que sur le plan théorique, on a tout juste négligé de la concrétiser.

« Le national-socialisme, par l’absence de proposition positive dans son programme et par l’avalanche de promesses qu’il fait à tout un chacun, trahit le fait qu’il est, dans l’Europe démocratique, la première « doctrine » née du ressentiment de tous contre tous… » (...)
ter Braak, nourri de Nietzsche et de Max Scheler 1, insiste sur le fait que les porteurs de ressentiment qui s’expriment dans les partis revanchards ne veulent pas vraiment ce qu’ils prétendent vouloir, et qu’au lieu de réduire ce qu’ils considèrent comme un mal, ils cherchent au contraire à s’en servir comme force de destruction. C’est bien pourquoi il ne peut être question de négocier avec ce qui n’aspire en fait qu’à la mort. (...)

« Ainsi la prétendue doctrine raciale n’est-elle que l’habillage phraséologique du ressentiment projeté sur l’éternel bouc émissaire, le juif. L’élément premier est la haine, l’antisémitisme vient ensuite et, en troisième position l’argumentation « scientifique ». »

C’est ce ressentiment qu’il faut soigner en premier dans la société, sous peine que, tant qu’il sera présent, il encouragera, et même créera « des injustices afin de trouver un prétexte pour justifier son existence ». (...)

Le lecteur pourra aussi considérer ce témoignage résolument incisif comme le fragment d’un miroir tendu à travers le temps. (...)