
Il y a presque cent ans, les puissances coloniales entérinaient le dépeçage de l’Empire ottoman. Diplomates rapaces, Lawrence d’Arabie en embuscade : récit de la mise en place d’un ordre aujourd’hui chancelant.
C’est une page d’histoire vieille d’un siècle qui est en train de se refermer progressivement, dans les fracas de la guerre. En 1916, en plein conflit mondial et dans le plus grand secret, Français et Britanniques redessinaient la carte du Moyen-Orient post-ottoman en s’attribuant des zones d’influence : ce sont les célèbres accords Sykes-Picot que les convulsions actuelles de l’Irak menacent, de facto, de détruire.
Sykes-Picot : ces noms reviennent si souvent dans les discours sur le Moyen-Orient depuis un siècle qu’on en oublie les personnages et les circonstances qui les ont inscrits dans l’Histoire.
En 1916, l’Empire ottoman finissant est l’allié de l’Allemagne, et les alliés français et britanniques, les deux principales puissances coloniales, rivaux historiques mais engagés ensemble dans la « grande guerre », pensent déjà à se partager les dépouilles alléchantes de la Sublime Porte. (...)
Français et Britanniques ont un intérêt commun à rallier à leur camp les tribus arabes, pour les retourner contre les Ottomans. Mais tout en leur faisant de grandes promesses, ils négocient secrètement, derrière leur dos, leurs futurs zones d’influence. (...)
Les conclusions résumées par Henry Laurens :
les Français administreront directement une zone allant du littoral syrien jusqu’à l’Anatolie ;
la Palestine sera internationalisée (condominium franco-britannique de fait) ;
la province irakienne de Basra et une enclave palestinienne autour de Haïfa seront placées sous administration directe des Britanniques ;
les Etats arabes indépendants confiés aux Hachémites seront partagés en deux zones d’influence et de tutelle, l’une au nord confiée aux Français, l’autre au sud aux Britanniques ;
la ligne dite Sykes-Picot, qui divise le Proche-Orient, doit aussi permettre la construction d’un chemin de fer britannique de Bagdad à Haïfa.
Ces conclusions sont néanmoins tenues secrètes, y compris au sein des deux administrations, française et britannique, et auprès de leurs alliés au Moyen-Orient maintenus dans l’illusion que Londres s’opposera aux visées françaises. En particulier le chérif Hussein, émir de La Mecque, dont ils espèrent le soulèvement. (...)
Le Proche et le Moyen-Orient n’en finissent pas de payer les conséquences du dépeçage de l’Empire ottoman par des puissances voraces et prédatrices, qui ont laissé, à force de duplicité et de conflits d’intérêts, des bombes à retardement en Palestine, au Liban, en Syrie, en Irak ou dans la péninsule arabe.
Les guerres fratricides d’Irak peuvent nous sembler bien lointaines et déconnectées de nous ; elles sont pourtant toujours reliées à une histoire dans laquelle la France et la Grande-Bretagne assument une sacrée responsabilité.