Une filiale d’EDF exploite du gaz de schiste aux Etats-Unis et y recourt à la très controversée fracturation hydraulique. Un paradoxe, alors que la France, propriétaire de l’entreprise publique, a interdit cette technique très polluante sur son territoire. Et que le gouvernement vient de choisir EDF parmi les sponsors officiels de la conférence sur le climat, la COP 21, qui aura lieu à Paris fin novembre. C’est pourtant bien ce que révèle une première version de son rapport « développement durable » publié temporairement sur le site du groupe.
Tout part d’une filiale d’EDF opérant loin des regards du grand public : EDF Trading. Celle-ci regroupe les activités de négoce du groupe et emploie environ un millier de personnes, principalement à Londres, où elle a son siège, et aux États-Unis. EDF Trading est chargée de l’achat et de la vente de charbon, de pétrole, de gaz et d’électricité pour le compte du groupe EDF, ainsi que du négoce des crédits carbone. Elle mène aussi des opérations de trading en son nom propre, comme acheter des kilowattheure d’électricité bon marché pour les revendre au meilleur prix. Des activités extrêmement rentables : en 2014, son chiffre d’affaires s’élève à 856 millions d’euros pour un profit net de 386 millions d’euros (373 millions en 2013), dont elle a reversé les deux tiers à sa maison mère sous forme de dividendes.
Pour optimiser ses activités de négoce, EDF Trading a dû acquérir des infrastructures de transport et de stockage de charbon, de gaz et d’autres matières premières. Elle réalise désormais directement ses propres opérations d’extraction de gaz. Et a créé une sous-filiale dédiée, EDF Trading Resources (ou EDFTR), dont le siège social est à Austin au Texas. (...)
Schizophrénie ? L’État demeure propriétaire d’EDF à hauteur de 84%. Et la France a interdit la fracturation hydraulique en 2011. Pour l’instant, le gouvernement tient bon face aux pressions des lobbies industriels qui souhaitent la levée du moratoire. L’ancien PDG d’EDF, Henri Proglio, n’était pas non plus partisan de l’exploitation du gaz de schiste en Europe, par crainte de la concurrence vis-à-vis de l’énergie nucléaire, de plus en plus coûteuse. EDF est ainsi ostensiblement absente du « Centre hydrocarbures non conventionnels », le lobby récemment créé par les grands groupes du CAC40 pour promouvoir la cause des gaz et pétroles de schiste en France.
L’ombre des traités de libre-échange
Il y a un an, EDF a affronté une avalanche de critiques après avoir annoncé l’importation de gaz naturel liquéfié en provenance des États-Unis, pour partie issu de gisements de schiste. Son fournisseur, Cheniere Energy, est en train d’achever la construction d’un terminal de liquéfaction géant sur la côte de la Louisiane pour faciliter ces exportations. Confrontés à une crise du secteur du schiste américain, en raison de la surproduction et de la chute des prix, les industriels misent désormais sur les marchés asiatiques et européens pour relancer la fracturation hydraulique.
Cela tombe bien : deux traités de libre-échange sont en cours de négociation : les exportations de gaz sont au cœur des projets d’accords commerciaux trans-pacifique (TPP), pour l’Asie, et transatlantique (TAFTA/TTIP), pour l’Europe [3]. Engie (ex GDF Suez) est d’ailleurs partie prenante d’un autre projet d’usine géante de liquéfaction de gaz sur la côte de Louisiane, Cameron LNG. Ce secteur d’activités intéresse évidemment EDF Trading. même si elle prétend le contraire, l’entrée d’EDF dans la production de gaz de schiste ressemble à un choix stratégique. (...)