
Savoir qui détient les créances françaises est un secret extrêmement bien gardé. L’opacité est totale et couverte par la loi. 1 317 milliards d’euros, tel est le montant, fin 2011, de la dette de l’État français. Qui sont ses créanciers ? La dette est-elle concentrée entre quelques richissimes mains ? Ou répartie entre une multitude de petits épargnants ? Les prêteurs sont-ils des spéculateurs, prêts à tout pour faire monter les taux d’intérêt, ou des investisseurs tranquilles ?
Pour se financer, l’État émet des titres financiers que des investisseurs achètent. C’est l’Agence France Trésor (AFT) qui gère leur mise aux enchères (adjudication). Vingt grandes banques agréées, de BNP Paribas à Goldman Sachs, en passant par Natixis, la Deutsche Bank ou la Société générale, sont chargées de les écouler sur les marchés financiers. Elles savent donc à qui elles revendent éventuellement ces titres. Ensuite, obligations et bons du Trésor circulent sur les marchés, mais son détenteur final perçoit chaque année des intérêts. En théorie, on devrait donc savoir à qui ils sont versés.
Sur le site de l’AFT, le citoyen curieux apprend juste que un tiers de la dette est détenu par des investisseurs français, un tiers au sein de la zone euro, et un tiers à l’étranger, en dehors de la zone euro, mais les non-résidents peuvent être de faux non-résidents, des Français détenteurs d’un portefeuille d’obligations via un paradis fiscal. Les trois plus gros détenteurs de la dette française sont le Luxembourg, les îles Caïmans et le Royaume-Uni ! Les Îles Caïmans, un paradis fiscal des Caraïbes autant peuplé que Châteauroux (44 000 âmes), pourrait donc ainsi faire basculer le destin des Français ? (...)
cette absence de transparence est inscrite dans la loi. « Les textes actuellement en vigueur n’autorisent les conservateurs d’instruments financiers (…) à communiquer aux émetteurs la liste de leurs détenteurs finaux qu’aux seuls émetteurs d’actions, de bons de souscription d’actions ou d’instruments de taux donnant immédiatement ou à terme accès au capital. Par conséquent, l’Agence France Trésor (AFT) ne peut pas identifier précisément les détenteurs des obligations et bons du Trésor », répond, en 2010, le ministère de l’Économie et des Finances à un sénateur trop curieux. Traduction : si les entreprises ont le droit de savoir qui sont leurs actionnaires, il est interdit à l’État français de connaître ses créanciers. La dette est un secret bancaire !
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