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Punir et pardonner
Article mis en ligne le 13 décembre 2018
dernière modification le 11 décembre 2018

Au Moyen Âge, on punit par le bûcher, la pendaison, le bannissement ou la mutilation, mais on pardonne aussi beaucoup. De la confession orale à la Pénitencerie apostolique, l’Église est source de miséricorde. Le châtiment et le pardon contribuent à asseoir le pouvoir judiciaire du roi et du pape.

Les hasards de l’édition scientifique et, plus encore, une conjoncture intellectuelle favorable invitant à décloisonner les études d’histoire du droit et de la justice, pour leur donner la place qui leur revient dans l’histoire de l’État, attirent l’attention sur deux livres bien différents, mais dont les intérêts se croisent à plus d’un titre : il me paraît utile de lire chacun d’eux en gardant à l’esprit les propositions stimulantes de son voisin.

Rareté des mises à mort
Claude Gauvard, professeure émérite à l’Université de Paris I, est bien connue pour ses études sur la justice royale en France à la fin du Moyen Âge. Son monumental ouvrage, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge (1991), consacré aux « lettres de rémission » des rois de France, reste une référence incontournable. Son présent livre sur la peine capitale pourrait laisser entendre qu’elle a décidé de se concentrer exclusivement sur l’autre versant de la justice royale : la rigueur de la peine plutôt que la miséricorde royale.

le châtiment et le pardon ne peuvent se séparer, puisqu’ils contribuent ensemble à asseoir le pouvoir judiciaire du roi et de l’État naissant. En effet, la documentation éclaire en parallèle, bien qu’inégalement, le développement des deux aspects de la justice royale. D’un côté s’impose de plus en plus le rôle du Parlement, qui cherche à étendre son rôle d’appel à tout le royaume, notamment aux dépens des justices urbaines et des autres seigneurs haut-justiciers. À Paris tout particulièrement, c’est au Châtelet que le prévôt royal tient son tribunal et un registre en a été conservé pour les années 1389-1392. De l’autre côté, la Chancellerie, jouant le rôle d’une cour supérieure d’appel, reçoit les suppliques des condamnés et y répond le plus souvent par la rémission au nom du roi. (...)

contrairement à l’image de pacotille d’un Moyen Âge sanguinaire, les exécutions capitales semblent avoir été rares : pas plus d’une mise à mort par an dans la plupart des juridictions. En revanche, les archives de la Chancellerie montrent que la rémission a bénéficié dans les années 1350-1450 à deux-cents condamnés par an environ.

La mort, exceptionnelle donc, est infligée par pendaison (pour les larrons habituels) – le gibet de Montfaucon étant mentionné à partir de 1233 –, sauf pour les femmes qui, beaucoup plus rarement condamnées à mort et moins souvent impliquées dans la violence criminelle, sont ensevelies ou brûlées vives. La noyade dans un sac des uns et des autres est également pratiquée. Coupables de « lèse-majesté », les traîtres et ennemis du roi (surtout s’ils sont de plus haute condition) sont décapités aux Halles ou en place de Grève.

Dans tous les cas, la confiscation des biens accompagne la peine de mort. D’autres peines physiques, des mutilations (oreilles, main, pied, etc.) adaptées à chaque crime, tel le parjure, l’emportent en nombre sur les exécutions. (...)

Par-delà les chiffres, le livre recèle une foule de réflexions importantes sur la procédure, dite « ordinaire » pour les simples délits, « extraordinaire » pour les crimes susceptibles d’être punis de mort et que la justice du roi tend de plus en plus à se réserver à l’échelle du royaume tout entier. Dans ces cas s’appliquent les rigueurs du droit romain (qui, depuis le règne de saint Louis, infléchit la coutume dans un sens tout nouveau, avec l’enquête judiciaire ou inquisition menée par le prévôt ou le bailli et bien souvent le recours à la « question »), sans que disparaisse pour autant toute trace de la vieille procédure accusatoire et corrélativement de la possibilité d’une négociation « infra-judiciaire » entre les parties. Hier pas plus qu’aujourd’hui, la justice n’était le seul moyen de résoudre les conflits.

Cependant, tous les sujets ne sont pas également menacés par la peine capitale. (...)

La seule solidarité dont ils peuvent bénéficier est celle de leur bande de truands, telle celle des Coquillards avec laquelle fraya François Villon, mais celle-ci ne leur est d’aucun secours au pied du gibet. Ainsi la peine de mort vise, plutôt qu’à l’exemplarité ou à l’épouvante des sujets, si souvent invoquées, à purger le royaume des hors-la-loi sans feu ni lieu et surtout sans « honneur », c’est-à-dire sans garants : la fama personae l’emporte parmi les motifs de la condamnation à mort sur la mesure du crime, la fama facti. (...)

L’Église ne fait pas couler le sang, mais les juges ecclésiastiques des officialités peuvent livrer ceux qu’ils condamnent au bras séculier, y compris pour des crimes relatifs à la foi, tels le blasphème, l’hérésie ou la sorcellerie. En même temps, l’Église s’acharne non sans mal à défendre le privilège qu’ont les clercs d’être jugés par elle seule, ce qui du reste incite les malfaiteurs à se faire passer pour des clercs tonsurés.

Forte de sa mansuétude inspirée des Évangiles, l’Église est source de miséricorde. Cet idéal, qui s’insinue dans les voies de justice par le canal du droit canon et l’influence de théologiens comme Jean Gerson (qui n’en défend pas moins la nécessité de la peine de mort), finit par pénétrer les conceptions et les pratiques de la justice royale. (...)

Confession et pénitencerie

C’est ici qu’on retrouve le livre non moins passionnant et important d’Arnaud Fossier, qui enseigne à l’université de Bourgogne. Depuis le XIIe siècle, la pénitence est bien identifiée dans la liste des sept sacrements. (...)