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france Culture
Prix littéraires : "C’est l’homme blanc quinquagénaire qui règne en maître dans les jurys"
Article mis en ligne le 5 novembre 2019

Parmi les grands prix littéraires, il n’y en a pas un qui récompense à égalité les femmes et les hommes. Le Goncourt a couronné 9,5% de femmes depuis sa création en 1904, l’Intérallié 9%, le Renaudot 17%... ; et ces chiffres, plus qu’inégalitaires, ne choquent pas grand monde. Comment l’expliquer ?

(...) Un prix littéraire peut changer la vie d’un écrivain, lui permettre de travailler plus sereinement sans s’inquiéter de trouver son public ou de se distinguer sur les étals fournis des libraires. Mais il y a peu d’élus, et surtout très très peu d’élues. Preuve en est une nouvelle fois avec le lauréat du Goncourt 2019, Jean-Paul Dubois, et celui du Renaudot 2019, Sylvain Tesson ; sans compter le Renaudot de l’essai, remis à Eric Neuhoff. (...)

Dans notre tentative de comprendre d’où venait une telle disparité, nous avions rencontré l’an dernier deux écrivains respectivement jurées au prix Femina et au prix Renaudot, et un historien.
L’entre-soi des hommes

Exclusivement féminin, le jury du prix Femina, depuis un siècle, récompense hommes et femmes sur un même principe de non-discrimination. Anne-Marie Garat en est membre. Jugeant ces statistiques regrettables, cette lauréate du Femina et du Renaudot des lycéens 1992 témoigne du traitement des femmes dans la vie publique littéraire, et de leur perpétuelle "secondarisation" (...)

Anne-Marie Garat dénonce l’entre-soi manifeste mais quasi inconscient des hommes, affirmant qu’il est notamment criant lors des rencontres littéraires, et qu’il suffit d’en regarder les programmes (...)

Seule jurée du prix Renaudot, constitué de dix membres, Dominique Bona est l’une des cinq femmes à siéger, parmi trente cinq hommes, à l’Académie française. Elle, explique ces chiffres en avançant l’idée d’héritage (...)

Au banc des coupables, l’école et les institutions (...)

Les autrices, reconnues uniquement dans des champs déconsidérés

En fait, dès le XVIIIe siècle, on trouve énormément d’autrices, mais réfugiées dans une catégorie considérée comme n’appartenant pas à la "grande littérature" : la littérature d’enfance et de jeunesse, comme l’analyse Jean-Yves Mollier (...)

L’historien évoque deux autres catégories décriées par les puristes, ou peu reconnues : celle du roman policier ("Agatha Christie, est une femme, certainement la plus adaptée au cinéma et à la télévision") et celle du roman sentimental : "Alors là, on va trouver une écrasante majorité de femmes, mais évidemment elles sont considérées comme des auteurs de second ordre."

Un état de fait que regrette et dénonce l’écrivain Anne-Marie Garat, qui considère que ce "sentimental", tellement dévalué, "c’est le sentiment, et pas au sens de la sentimentalité et sa supposée mièvrerie". Pour elle, le sentiment du monde, de la vie, des émotions, des "puissances de l’empathie et de l’altruisme" ne sont pas des vertus féminines, bien que les femmes y soient poussées davantage par leur condition près du corps enfantin, du corps vieillissant (...)

Un machisme littéraire typiquement français

"En fait ce qu’il manque probablement en France, c’est ce qui existe aux Etats-Unis... C’est que Bernard Pivot n’ait pas été une femme...", avance Jean-Yves Mollier. (...)

Pour Anne-Marie Garat, si la France est incapable de se calquer sur le modèle des Etats-Unis, c’est à cause de son histoire des cinq derniers siècles. Une histoire qui fait que le virilisme prévaut aujourd’hui dans l’Hexagone comme instance d’évaluation du monde (...)

Peu de militantisme de la part des femmes écrivains

A prendre conscience de l’ampleur de la disparité, force est de se demander pourquoi les femmes ne sont pas plus militantes, surtout celles qui siègent dans les jurys (trois sur dix au Goncourt, une sur dix au Renaudot, cinq sur onze au Médicis - aucune à l’Interallié). Il semblerait presque que le sujet agace, comme nous l’a fait comprendre une jurée que nous espérions interviewer ("Je trouve que c’est un marronnier barbant") tandis qu’une autre nous a répondu ne vouloir s’exprimer "que sur ses livres".

Pour expliquer ce phénomène, Jean-Yves Mollier avance l’hypothèse d’une peur de la dévalorisation (...)

Parmi les autrices appartenant à ces instances de consécration, certaines comme Dominique Bona, souhaitent que les mentalités changent, mais sans avoir à en passer par "l’agressivité, la guerre des sexes, la violence des rapports". L’écrivain dit croire davantage aux vertus du travail et de l’exemple (...)