
Gérald Darmanin a affirmé dimanche qu’un Algérien de 26 ans, brièvement soupçonné puis mis hors de cause, serait malgré tout expulsé, faute de papiers. Tirant argument de ses précédentes arrestations, le ministre alimente les obsessions communes du Rassemblement national et d’une partie de la droite.
Tous les ingrédients d’une polémique estivale sont réunis : l’agression est violente, elle vise des policiers et des téléphones la filment.
Mercredi 20 juillet, au soir, dans le quartier populaire de La Guillotière à Lyon, trois agents en civil du service interdépartemental de sécurisation des transports en commun (SISTC) voient un jeune homme arracher la chaîne en or d’un passant. Alors qu’ils veulent l’arrêter en flagrant délit, une foule les en empêche. Les policiers tentent de se replier dans un magasin mais ils reçoivent des coups, des projectiles, du gaz lacrymogène. L’interpellation échoue et le suspect s’enfuit.
Publiée sur les réseaux sociaux, la vidéo est rapidement relayée par le syndicat de police Alliance, le site d’information LyonMag et le site spécialisé Actu17. Selon les syndicats de police, cités notamment par Le Progrès, la policière de l’équipage s’est vu attribuer sept jours d’interruption totale de travail (ITT) pour des blessures « au visage, à l’index et à un adducteur ». L’un de ses collègues, touché « à la tête, au cou et à la cheville », est arrêté deux jours. (...)
Dès que l’affaire est rendue publique, les réactions s’enchaînent comme un ballet écrit d’avance : le ministre de l’intérieur assure les policiers de son « plein soutien », la droite accuse la gauche lyonnaise de laxisme et l’extrême droite met cette agression sur le compte d’un conflit de civilisations - et vice versa. Lors d’une visite à Vaulx-en-Velin vendredi 22 juillet, la première ministre Élisabeth Borne promet de « sanctionner ces comportements qui ne sont pas acceptables » et de « mettre les moyens qu’il faut » pour faire « respecter la police ».
Dimanche 24 juillet, à 12 h 11, Gérald Darmanin rend compte sur Twitter des « opérations de police » au mépris de la présomption d’innocence : « Un des délinquants est étranger, il a été interpellé. Sur mon instruction, il a été placé en rétention [faute de papiers –ndlr] et sera expulsé. Les délinquants étrangers n’ont pas leur place en France. »
Sitôt publiées, les accusations du ministre sont pourtant caduques : le parquet de Lyon précise que le suspect placé en garde à vue la veille a été « totalement mis hors de cause » et relâché. (...)
Laissant à peine le temps à ses adversaires politiques de le tourner en ridicule, Gérald Darmanin maintient sa volonté d’expulser l’homme interpellé, un Algérien de 26 ans, qu’il soit « en lien avec les événements ou non » (le parquet a tranché : c’est non). D’après le ministre, reste que cet homme est « connu pour de nombreuses mises en cause : vol, violences, menace de mort sur personne dépositaire de l’autorité publique, détention de drogues, violences en réunion… ». Il ajoute que « cet individu n’a rien à faire dans notre pays qui est généreux si on le respecte ».
La formule utilisée, « connu pour de nombreuses mises en cause », correspond à une catégorie particulière : celle des suspects inscrits dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ), le principal fichier de police, au stade de la garde à vue. Et ce, quelles que soient les suites judiciaires : classement sans suite, mesure alternative aux poursuites ou condamnation. Autrement dit, on ignore si ces affaires plus anciennes ont laissé des traces sur le casier judiciaire de cet homme ou s’il a été, là aussi, « mis hors de cause ».
« Nous ne savons pas s’il a été condamné », reconnaît d’ailleurs le cabinet de Gérald Darmanin pour justifier sa formule. (...)
Invité sur RTL lundi matin, le ministre de la justice, disposant peut-être d’informations transmises par ses propres services, a toutefois affirmé que « cet homme a déjà été condamné à de nombreuses reprises ». Éric Dupond-Moretti a ajouté qu’il « fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français [OQTF – ndlr], ce qui est une décision administrative, et Gérald Darmanin a dit qu’elle serait exécutée ». Il conclut : « Moi, je n’ai rien d’autre à dire, je suis un fervent partisan de l’État de droit que je défends bec et ongles. »
Peu d’expulsions vers l’Algérie
Grâce à l’État de droit qu’Éric Dupond-Moretti défend bec et ongles, l’homme visé par une OQTF et placé dans un centre de rétention administrative sur intervention revendiquée du ministre de l’intérieur a décidé de contester son enfermement. D’après l’association Forum réfugiés, chargée de son recours, une audience doit se tenir mardi devant le juge des libertés et de la détention.
De fait, il n’est pas certain qu’une expulsion soit si aisée, ainsi que l’imaginent le ministre de l’intérieur et le Rassemblement national. En 2021, malgré 22 957 « interpellations réalisées au titre de l’éloignement » vers l’Algérie, très peu d’expulsions ont effectivement eu lieu, faute de délivrance par Alger de « laissez-passer consulaires » (...)
« Ce délinquant est toujours là »
Comme l’ont annoncé Le Progrès et BFMTV, un autre homme soupçonné d’avoir participé aux violences contre les policiers a été arrêté dimanche soir et placé en garde à vue après avoir été identifié sur vidéosurveillance. Il s’agirait d’un Algérien de 25 ans, lui aussi sans papiers et sans domicile fixe.
Quant au suspect du vol à l’arraché initial, en fuite et visé par une enquête de la sûreté départementale, ce n’était pas un inconnu pour les policiers qui ont tenté de l’arrêter. (...)