La hausse des prix des carburants pousse les automobilistes à se convertir au superéthanol-E85. Peu cher, l’agrocarburant est aussi présenté comme neutre en carbone. La réalité est plus nuancée, selon une ONG.
Cet agrocarburant est produit à partir de maïs, de blé ou de betterave et peut remplacer l’essence classique dans les voitures adaptées.
Tous les acteurs de la filière, réunis en conférence de presse mardi 24 janvier au matin, et représentés au sein de la Collective du bioéthanol, se sont félicités d’une année en tous points « exceptionnelle ». 35 000 véhicules compatibles au E85 ont été vendus, soit six fois plus qu’en 2021. 85 000 boîtiers de conversion, qui permettent d’adapter un moteur à ce carburant, ont été installés, soit trois fois plus que l’année précédente.
C’est notamment l’augmentation des prix des carburants qui a poussé les automobilistes à se tourner vers cette solution moins chère. (...)
Défrichage d’espaces naturels
Mais le bénéfice est-il aussi écologique ? Oui, répond la filière, qui considère le bioéthanol comme un carburant neutre en carbone. Selon son raisonnement, contrairement aux énergies fossiles, le CO2 émis lors de la combustion de ces végétaux n’augmente pas la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, du fait que ceux-ci l’avaient absorbé auparavant. Ainsi, le bioéthanol consommé en France permettrait d’éviter l’émission de 1,8 millions tonnes de CO2, a calculé le lobby européen du bioéthanol, ePure. Soit l’équivalent des émissions de 900 000 voitures par an, appuie la Collective du bioéthanol.
Pourtant, observe Marie Chéron, de l’ONG Transport et Environnement, « la protection de l’environnement et du climat est incompatible avec une croissance forte et continue de la consommation de bioéthanol ». C’est que l’affaire est complexe. Dans son rapport de 2021 sur les biocarburants, la Cour des comptes a été en effet beaucoup moins enthousiaste que le lobby. Évaluer le bilan environnemental des biocarburants est d’une « grande complexité méthodologique », soulignait-elle en 2021. (...)
Produire des biocarburants demande d’augmenter la quantité de terres cultivées. Cela peut encourager le défrichage d’espaces naturels. Cela « diminue le stockage de carbone » et donc « la performance environnementale des biocarburants », poursuivait le rapport. (...)
Un carburant pas très local
Mais en France, les conséquences négatives seraient limitées, nous rassure la Collective du bioéthanol, car les cultures destinées à ce carburant n’occupent que 1 % de la surface agricole française. « Ce sont quand même des parcelles agricoles en moins dédiées à l’alimentation humaine » (...)
« Plus on augmente la consommation de bioéthanol, plus on accroît les facteurs de déforestation et le prix des denrées alimentaires », poursuit Marie Chéron. « Manger ou conduire, il faut choisir ! »
Le bioéthanol se vante aussi d’être une filière française, contrairement aux produits pétroliers importés. « L’essentiel du bioéthanol consommé en France est produit en France », assure le dossier de presse de la Collective du bioéthanol. Pas tout à fait : en 2019, 83% des matières premières utilisées pour produire du bioéthanol mis à consommation en France sont d’origine française, indique le ministère de l’écologie. La même année, France Agrimer soulignait que les importations d’alcool permettant la fabrication de bioéthanol étaient en augmentation.
La Cour des comptes, elle, estime que la part de matières premières françaises dans la fabrication de biocarburants a « chuté ». On en serait à deux tiers de betteraves et céréales françaises dans les biocarburants essence comme le E85.
Disparition de la biodiversité
Enfin, les cultures de blé, maïs et betterave pour le bioéthanol n’est pas des plus vertueuses. Les betteraviers demandaient pour la troisième année consécutive une dérogation pour l’utilisation de néonicotinoïdes, pesticides très dangereux pour la biodiversité. Elle leur a finalement été refusée, non par le gouvernement mais par la Cour de justice européenne. La Cour des comptes notait également que les biocarburants contribuent à l’extension des grandes cultures. (...)
Autant de données qui questionnent la politique fiscale française en faveur du bioéthanol, estime Transport et Environnement. En effet, si le bioéthanol coûte moins cher à la pompe, c’est simplement parce qu’il est moins taxé. (...)