
Réduire de moitié l’usage des pesticides : telle est l’ambition affichée par les ministres de l’Agriculture depuis une décennie. Pourtant, le recours à ces produits toxiques et cancérogènes ne cesse d’augmenter. Malgré les discours sur « l’agriculture raisonnée », malgré la progression des cultures bio, malgré l’effort des consommateurs qui achètent de plus en plus de produits sans pesticides, malgré les résultats obtenus par plusieurs agriculteurs qui réduisent drastiquement le recours à la chimie… En cause : le poids de l’agro-business qui freine tout changement d’ampleur. Et l’absence de véritables sanctions contre les fraudeurs qui continuent d’utiliser des produits pourtant interdits. Enquête sur une aberration.
En septembre 2008, le ministre de l’agriculture Michel Barnier présente au gouvernement le plan « Écophyto 2018 » [1]. Élaboré à la demande de Nicolas Sarkozy, dans la foulée du très consensuel Grenelle de l’environnement, le plan est ambitieux : outres la suppression des molécules les plus dangereuses (comme les néocotinoïdes), il prévoit de réduire de moitié l’usage des pesticides. Et Michel Barnier envisage « un nouveau modèle agricole » pour la France. Car le bilan de l’utilisation massive des pesticides commence à peser très lourd : pollutions généralisées des rivières, risque de cancers et de maladies neurologiques pour ceux qui les utilisent ou les ingurgitent, menace sur la biodiversité, les « produits phytosanitaires » sont la source de nombreux maux. Las, six ans et 361 millions d’euros plus tard – le budget du plan Ecophyto (formations d’agriculteurs, dispositif de surveillance...) –, rien n’a changé.
Ou du moins, pas grand chose. L’un des seuls points positifs est la mise en place d’un indicateur, le nodu (pour NOmbres de Doses Unités), qui permet de quantifier la consommation de pesticides. (...)
Aujourd’hui comme hier, la France reste le premier consommateur de pesticides en Europe et le troisième au niveau mondial.
Le poids du lobby agro-chimique
Entièrement basé sur la bonne volonté, « le plan Écophyto a péché par idéalisme, en misant trop exclusivement sur une approche d’incitation au changement de pratiques », souligne le rapport du député PS de Meurthe et Moselle Dominique Potier, « Pesticides et agro-écologie, les champs du possible » (...)
. Pour Jean-Pierre Fonbastier, agriculteur et membre de la Confédération paysanne, la raison principale de la faillite d’Écophyto est « toute simple » : « Les organismes économiques – coopératives et négoce – n’ont aucun intérêt à ce que le niveau de consommation de produits phytosanitaires se réduise. Il y a une très grosse responsabilité de la filière agricole. » (...)
les grandes cultures, notamment le blé et le colza, consomment environ 70% du total des pesticides épandus en France. Arrive ensuite la viticulture, qui absorbe 20% du total. « Dans les grandes cultures, c’est la course perpétuelle aux nouveaux produits phytos », détaille Jean-Pierre Fonbastier, lui même producteur céréalier.
« Si on est en monoculture de blé, la pression des maladies est chaque année plus forte puisque les ravageurs s’habituent aux produits et développent des résistances. » Faire tourner les cultures sur une même parcelles, faire des rotations, permet d’éviter ce cercle infernale, en ayant un système agronomique plus robuste. « Mais pour le négoce et les coops, c’est plus simple d’avoir à gérer deux ou trois cultures plutôt que cinq ou six, estime Jean-Pierre le productuer. La taille des coopératives fait partie du problème. Elles ne sont pas dans une logique agronomique et paysanne. »
Changer de modèle : une nécessité
« Écophyto a échoué parce que notre agriculture est restée dans des pratiques et des logiques productivistes et agrochimiques », martèle Joël Labbé. La réduction de l’usage de pesticides n’ira pas sans une reconfiguration des systèmes agricoles. « Il faut sortir du modèle unique d’augmentation de la productivité à l’hectare », dit Jean-Pierre Fonbastier
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Faire fi du rendement maximum, est-ce la solution ? Oui, si l’on en croit Eric Odienne, agriculteur dans l’Eure. Avec son épouse, Annick Bril, ils sont engagés depuis une dizaine d’années dans la réduction d’intrants sur leurs parcelles céréalières. Ils admettent produire 8 à 10 quintaux de blé en moins, chaque année, que leurs collègues. « Mais avec les économies réalisées en engrais et en pesticides, on retombe sur nos pieds côté revenu. »
Pour arriver à de tels résultats, Eric et Annick ont progressivement modifié leur façon de travailler. Contrairement à ses collègues restés en « conventionnel raisonné », Eric arpente souvent ses champs à pieds, et sans pulvérisateur, pour observer ce qui se passe, et tâcher de comprendre. (...)
« Déphy » est un réseau de fermes dont la mission est de démontrer qu’il est possible de réduire sa consommation de pesticides sans que les fermes ne sombrent. Rotation des cultures, décalage des dates de semis, réduction des labours... Les 187 groupes qui se sont constitués à travers la France ont expérimenté diverses techniques et méthodes de travail, avec des résultats souvent excellents. Dans le groupe dont Eric Odienne et Annick Bril font partie, les agriculteurs utilisent entre 40 et 60 % de phytos en moins que leurs voisins !
La plupart d’entre eux en sont très contents, et continuent à chercher des solutions pour réduire encore leurs consommations d’intrants.
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Qu’en pense le ministère ? Difficile de savoir. Malgré diverses sollicitations, Basta ! n’a pu avoir personne en ligne. Et le discours officiel manque un peu de clarté. Quel est le lien logique entre la promotion de l’agro-écologie et les facilitations administratives offertes sur un plateau aux éleveurs de cochons souhaitant agrandir leurs exploitations ? Sans parler des menaces de diminution des aides publiques à la bio, annulées in extrémis à la mi-mars.
Ceux qui enfreignent la loi en matière de vente et de consommation de pesticides, sont-ils sanctionnés ? (...)
« Les Procureurs considèrent souvent que d’autres priorités s’imposent à eux et ils classent de nombreux dossiers ou utilisent souvent un simple rappel à la loi », remarque la récente mission parlementaire. Bref : les coupables ne sont quasiment jamais sanctionnés, voire à peine inquiétés, même quand ils sont pris en flagrant délit.
Poisons en liberté
« N’oublions pas, termine François Veillerette, que les produits dont nous parlons sont mis en cause pour leurs graves effets sanitaires par de nombreuses études scientifiques. Plusieurs d’entre eux sont des perturbateurs endocriniens [5] » Un bilan de ces études réalisé en 2013 par le très officiel Inserm, à la demande du ministère de la Santé, a reconnu les conséquences désastreuses pour la santé de la chimie agricole : cancers, maladies neurologiques et troubles de la reproduction. Les agriculteurs et leurs familles en sont les premières victimes. Une association des agriculteurs victimes de pesticides, Phyto-victimes, s’est constituée il y a quelques années. Mais ils ont de grandes difficultés à être entendus.
Il y a quelques jours, plusieurs pesticides ont été classés cancérogènes « probables » ou « possibles » par le Centre international de recherches sur le cancer (Circ). Parmi eux, le célèbre round up, désherbant le plus utilisé en France (lire notre article). (...)