
Un fabricant de paracétamol, Ipsophene, veut s’implanter à proximité du cœur de ville. Sur un site Seveso, non loin du mémorial d’AZF et collé au futur « poumon vert » toulousain, le lieu du projet suscite des inquiétudes.
Il demeure en France quelques rares sujets qui font consensus ou presque. Celui de la souveraineté sanitaire et médicale en est un. Qui pour s’opposer à ce que la France produise elle-même les médicaments de base pour sa population ? Personne. Surtout après la « crise du paracétamol » de 2022 et le récent rachat du fabricant de Doliprane par un fonds américain.
L’annonce en décembre 2024 de l’installation à Toulouse d’Ipsophene, un fabricant de paracétamol, a donc suscité l’enthousiasme des pouvoirs publics. Cette implantation, soumise à une autorisation environnementale, a fait l’objet d’une consultation publique. Les commissaires-enquêteurs ont jusqu’au 25 juillet pour rédiger un rapport, ainsi que leurs conclusions, et transmettre le tout au préfet, lequel prendra ensuite sa décision.
Porteur d’un procédé de fabrication innovant et générant moins de déchets, Ipsophene fait partie des sept projets soutenus en 2025 dans le cadre du plan « France 2030 » pour « accélérer la relocalisation des médicaments essentiels ». Il prévoit une production d’environ 4 000 tonnes de paracétamol par an. (...)
Concentration de risques
Il faut dire que l’arrivée n’est pas aussi idyllique que le souhaiterait son PDG. La faute au lieu choisi pour son installation : un bâtiment désaffecté d’ArianeGroup situé sur l’îlot d’Empalot, à la pointe des îles du Ramier, sur la Garonne, à l’entrée sud de la ville.
Le 27 janvier, l’agence régionale de santé (ARS) a donné un avis favorable. Mais trois comités de quartier toulousains, les Amis de la Terre Midi-Pyrénées et le collectif « Plus jamais ça ni ici ni ailleurs » (créé à la suite de la catastrophe de l’usine AZF) regroupés dans le collectif « Stop Nouveau Seveso Toulouse » ont fait connaître leurs réserves. « Le problème n’est pas la finalité de la production, résume Jérôme Favrel, président du comité de quartier Croix-de-Pierre, mais le lieu choisi pour implanter cette usine et le précédent que cela va constituer. » (...)
Dans l’étude d’impact du projet, liée à la demande d’autorisation environnementale, le fait que l’usine s’implante sur « un site pouvant être classé Seveso ou idéalement bénéficiant déjà de ce classement » est présenté comme un critère positif. Cela contrevient pourtant au plan de prévention des risques technologiques (PPRT) adopté en 2014 pour le site industriel d’ArianeGroup (à l’époque Herakles-Safran). « Toute nouvelle exploitation des bâtiments existants qui ne serait pas strictement nécessaire au fonctionnement de l’usine [actuelle] et qui n’aurait pas un lien direct avec l’activité industrielle du site [Herakles-Safran] est interdite », est-il indiqué en page 13 du document.
Or, Ipsophene doit investir le bâtiment 430, ancien atelier pharmaceutique de l’ancien site d’ArianeGroup, où se trouvera le procédé de fabrication du paracétamol, des produits et déchets stockés en cuve, un laboratoire de contrôle qualité, mais aussi les bureaux, le réfectoire, les sanitaires, les vestiaires. Dans les « zones » 433 et 434 attenantes seront stockés le produit fini et le vrac de matières premières. Aucun lien avec l’activité d’ArianeGroup. Sollicité par Mediapart, le groupe n’a pas donné suite à nos demandes d’échange.
« Effets dominos »
Pour contourner cette entorse au PPRT, l’étude d’impact, réalisée par le cabinet Alphare-Fasis, évoque une mise à disposition du bâtiment 430 à Ipsophene « dans le cadre de la convention plateforme », un dispositif qui permet, sous certaines conditions, de mutualiser un site industriel entre plusieurs exploitants Seveso. Sauf que le site ne bénéficie pas à ce jour du statut de plateforme industrielle qui permettrait une telle convention. (...)
La perspective de l’implantation d’Ipsophene est surplombée par un spectre : celui d’AZF. (...)
Une usine à côté du poumon vert
Le 27 mars, lors d’une séance du conseil municipal, l’élu d’Archipel citoyen a posé la question au maire. Sans se donner la peine de répondre dans les délais impartis, le maire de la ville, Jean-Luc Moudenc (ex LR), dans une tribune publiée dans La Tribune le 17 avril, a salué un projet « exemplaire » et fustigé « des protestations souvent infondées, toujours déconnectées, par ceux-là mêmes qui ne créent rien, ne produisent rien, mais bloquent tout ».
Interrogé par Mediapart, la mairie de Toulouse baisse d’un ton en faisant savoir que tout en soutenant un « projet porteur d’emplois et de dynamisme économique pour notre territoire […], la collectivité ne pourra se prononcer qu’à compter de la clôture de l’enquête publique et de l’étude de celle-ci ». Et l’avis rendu, assure-t-on, « prendra en compte les risques potentiels liés à l’emplacement, les garanties fournies par les dirigeants d’Ipsophene sur la sécurité, l’absence de rejets significatifs dans l’environnement et les contrôles opérés par l’État ».
Des points apparaissant, de fait, cruciaux pour la municipalité. Car au spectre d’AZF s’ajoute donc un mirage, celui du « poumon vert ». Les îles du Ramier font l’objet de longue date d’un projet de réaménagement dont les travaux ont démarré en 2023. Un grand parc de 7 hectares avec jardin botanique, une maison des associations, une cité des sports urbains ou un « pavillon du bien-être » y verront bientôt le jour.
Dans une note diffusée le 18 juin, la mairie promet « 10 hectares de surface débitumisée et végétalisée », « 8 kilomètres de cheminements piétons et cyclables aménagés » et « plus de 5 000 arbres plantés et 25 000 arbustes plantés dans le cœur de l’île d’ici la fin 2025 ». Le tout aux côtés du Stadium, des installations sportives du Toulouse Football Club, de la piscine Alfred-Nakache, de la cité universitaire et du casino déjà présents sur ces îlots. Lesquels sont désormais reliés aux deux rives du fleuve par de nouveaux ponts-passerelles. (...)
De l’autre côté se tient le site industriel d’ArianeGroup, promis à recevoir Ipsophene. Un projet dont les porteurs vont décidément avoir bien du mal à démontrer qu’ils ont choisi le bon endroit pour participer à la relance de la souveraineté sanitaire du pays.