
Alors que les signes d’un réchauffement global se multiplient, les débats sur le sujet sont légion et, pour beaucoup, passent complètement à côté des questions centrales, à savoir celles du monde de production, de la libéralisation à outrance ou encore des rapports de domination entre individus et régions du monde. La majorité des intervenants « spécialistes » de la question restent pour la plupart cloisonnés dans un certain cadre, celui du capitalisme libéral. Or, force est de constater que jusqu’à maintenant, toutes les solutions envisagées au sein de ce système restent sans succès. S’il faut évidemment se méfier d’un modèle clé en main, il est nécessaire de remettre en cause un certain nombre d’idées reçues si on veut faire avancer le débat et envisager une possible sortie de l’impasse.
S’il est indéniable que nous habitons tous la même planète, nous ne l’habitons pas tous de la même façon : par conséquent, nous ne sommes pas tous responsables du réchauffement global de la même manière et nous ne subirons pas tous ses conséquences de la même façon. Pour rester dans l’analogie maritime, le syndrome du Titanic, idée chère à Nicolas Hulot |2|, ne doit pas nous faire oublier qu’existaient dans ce navire différentes classes pour qui le naufrage n’aura pas les mêmes conséquences |3| . Bien que sur du long terme, l’ensemble de l’humanité sera vraisemblablement touchée par les impacts d’un réchauffement global, il est clair que ce sont avant tout les plus pauvres qui en subiront les effets les plus rapides et les plus dramatiques. Cela se produit déjà puisque de nombreux pays du tiers monde, de par leur climat tropical et leurs faibles moyens financiers, connaissent déjà de plus en plus d’événements climatiques extrêmes et assistent impuissants à la fonte des glaciers continentaux et à la dilatation des eaux océaniques. Une comparaison entre les Pays-Bas et le Bangladesh est éloquente puisque pour une situation semblable (tous deux en partie sous le niveau de la mer), le premier est en train de construire une digue de plusieurs milliards d’euros pour faire face à une montée des eaux tandis que le second, incapable de faire de même, ne peut qu’attendre le déluge en regardant son voisin indien renforcer des murs à la frontière pour empêcher l’arrivée des millions de migrants climatiques à venir |4| . Cette situation dépasse la fameuse grille de lecture caricaturale Nord-Sud puisque même au sein des pays riches, les populations les plus précaires figurent fréquemment parmi les plus vulnérables |5|. L’exemple de la Nouvelle Orléans est là pour nous le rappeler |6|. (...)
Une question avant tout économique
À de rares exceptions |7|, les solutions au réchauffement climatique envisagées ne remettent jamais en cause l’idéologie dominante du marché, du libre-échange et de la Croissance : on nous parle de développement des énergies renouvelables et des transports en commun, d’un soutien aux producteurs locaux et d’agroécologie, de normes et de labels sur les produits que nous achetons, d’une meilleure éducation à la consommation… Ces éléments ne sont évidemment pas contestables en soi mais imaginer que ces mesures se développeront et se suffiront à elles-mêmes relève au mieux de la naïveté, au pire de l’hypocrisie. En effet, si tout cela n’est pas développé comme on le voudrait, c’est surtout parce que de nombreux acteurs qui détiennent un pouvoir considérable n’y ont tout simplement pas intérêt. Parmi ces derniers figurent notamment les compagnies pétrolières, pour qui le mode de vie à l’américaine (banlieues résidentielles, voiture individuelle, séparation des lieux d’activité…) constitue une partie significative de leurs profits ou encore les multinationales de l’agrobusiness accaparant des ressources considérables destinées à une production intensive. N’en déplaise à Pierre Rabhi, promouvoir une agriculture en symbiose avec son milieu quand une majorité de paysans à travers le monde sont dépossédés de leur terre risque fort de rester lettre morte si on ne revendique pas en parallèle une réforme agraire et une plus juste redistribution des terres.
Dans le même ordre d’idées, la relocalisation des activités économiques ne pourra se faire tant que la libéralisation des capitaux et des marchés permettra aux grandes multinationales en tout genre d’empocher toujours plus de bénéfices en délocalisant leur production à l’autre bout de la planète, multipliant par là les transports de marchandises |8| . (...)
combiner la lutte contre le réchauffement climatique à ces aspirations légitimes implique de reconnaître une dette écologique |11| du Nord vis-à-vis du Sud et surtout traduire cela dans les faits, à savoir annuler purement et simplement la dette financière du tiers monde ; transférer les technologies propres vers les pays qui en sont dépourvus ; envisager des réparations et des fonds pour permettre à ces pays de faire face aux conséquences du réchauffement (fonds prélevés non sur les budgets des Etats mais sur les bénéfices des multinationales principales responsables du désastre) ; remettre en cause les règles de libre-échange de façon à permettre de renforcer une autonomie alimentaire et économique au détriment des politiques privilégiant l’exportation… Tout cela devra inévitablement passer par d’importantes mobilisations, nationales et transversales au Nord et au Sud, afin de trouver des convergences de lutte entre les populations victimes d’un modèle économique à la fois destructeur pour la nature mais également socialement inacceptable. Le système économique montre ses contradictions et nous devons en profiter pour faire converger les luttes écologistes et syndicales. (...)