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le monde diplomatique
Pour une nouvelle conscience planétaire
Edgar Morin
Article mis en ligne le 26 septembre 2019
dernière modification le 25 septembre 2019

Le temps n’est plus à dresser le constat des catastrophes écologiques. Ni à imaginer que, à lui seul, l’essor des technologies pourrait y porter remède et encore moins. venir à bout des grands dysfonctionnements qui menacent de détraquer pour de bon la planète et la biosphère. Le sursaut salvateur ne peut surgir que d’un immense bouleversement de nos rapports à l’homme, aux autres vivants, à la nature. Il faut qu’une conscience écologique de la solidarité se substitue à la culture de la compétition et de l’agression qui régit actuellement les rapports mondiaux.

LE problème écologique nous concerne non seulement dans nos relations avec la nature mais aussi dans notre relation avec nous-mêmes (1).

L’écologie, en tant que discipline scientifique, s’est créée à la fin du dix-neuvième siècle, avec Haeckel, et, en 1935, avec Tansley, est apparu « l’écosystème », notion centrale qui a distingué le type d’objet de cette science de la plupart des autres domaines de la recherche.

En 1969, s’est opérée en Californie une jonction entre l’écologie scientifique et la prise de conscience des dégradations du milieu naturel, non seulement locales (lacs, rivières, villes) mais, désormais, globales (océan, planète), affectant les nourritures, les ressources, la santé et le psychisme des êtres humains eux-mêmes. Il y a eu ainsi passage de la science écologique à la conscience écologique.

De plus, la jonction s’est faite entre la conscience écologique et une version moderne du sentiment romantique de la nature qui s’était développé, principalement dans la jeunesse, au cours des années 60. Ce sentiment a trouvé dans le message écologique une justification rationnelle. Jusqu’alors, tout retour à la nature avait été perçu, dans l’histoire occidentale moderne, comme irrationnel, utopique, en contradiction avec les évolutions « progressives ». En fait, l’aspiration à la nature n’exprime pas seulement le mythe d’un passé naturel perdu ; elle exprime aussi les besoins hic et nunc des êtres qui se sentent brimés, oppressés, opprimés dans un monde artificiel et abstrait. La revendication de la nature est une des revendications les plus personnelles et les plus profondes, qui naît et se développe dans les milieux urbains de plus en plus technicisés, bureaucratisés, chronométrés, industrialisés. Il a fallu la science et la conscience écologiques pour qu’on en découvre la rationalité.

Dans les années 1969-1972, la conscience écologique suscite une prophétie aux couleurs d’apocalypse. Elle annonce que la croissance industrielle conduit à un désastre irréversible, non seulement pour l’ensemble du milieu naturel mais aussi pour l’humanité. Il faut considérer comme historique l’année 1972, celle du rapport Meadows, commandé par le club de Rome, et qui situe le problème dans sa dimension planétaire (2).

Certes, ses méthodes de calcul étaient simplistes, mais c’était une première tentative pour appréhender ensemble les devenirs humain et biologique à l’échelle planétaire. De même, les premières cartes de géographie établies au Moyen Age par les navigateurs arabes comportaient d’énormes erreurs dans la situation et la dimension des continents mais elles constituaient le premier effort pour concevoir le monde.

La prophétie écologiste des années 70 s’est partiellement autodétruite : la diffusion assez rapide de la conscience des pollutions, dégradations locales ou provinciales a provoqué la mise en œuvre de dispositifs juridiques et techniques qui ont en quelque sorte amendé ou différé son caractère cataclysmique. Mais une bonne prophétie est précisément celle qui suscite les réactions et luttes évitant la catastrophe qu’elle prédit.Cependant, la prophétie catastrophique n’a été que retardée : quinze ans plus tard, divers accidents spectaculaires, dont Seveso et Tchernobyl, l’ont vérifiée, et la grande alerte sur la biosphère est aujourd’hui déclenchée.

Désormais, avec le recul, on peut mieux voir ce qu’il y avait de secondaire et d’essentiel dans la prise de conscience écologique. (...)