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Article paru dans le bulletin Reliance N°84 de Rénovation.
Polo Tonka « dialogues avec moi-même, un schizophrène témoigne »
Interviewé par Bernard Berteau, psychiatre au Centre de Réadaptation de Rénovation - (26 mars 2015 19h30 à Bordeaux)
Article mis en ligne le 23 avril 2015

Je n’ai pas encore lu le livre – ça ne saurait tarder – voici ce que j’ai entendu à l’occasion de cet interview qui m’a profondément touchée.

Les medias nous parlent de schizophrénie… à leur façon, vue de l’extérieur, quand il vient de se passer un événement aussi catastrophique que statistiquement rare. La terreur induite fait des ravages dans l’opinion publique, engendre des initiatives dangereuses pour des malades beaucoup plus souvent victimes qu’auteurs de violences.

Polo Tonka nous invite à entrer dans la vie intérieure d’une personne souffrant de schizophrénie… et douée d’un goût certain de l’écriture.

Au commencement il y a la souffrance et la terreur induite par l’imaginaire de la schizophrénie dans la population :
 induite chez les soignants qui ont beaucoup de mal à dire le mot : crainte d’accroître la souffrance du patient, crainte des réactions de l’entourage - dont il faut obtenir l’adhésion au traitement…
 induite chez les proches qui tentent de minimiser le problème « c’est pas grave, pense à autre chose ».
 induite chez le principal intéressé : « t’as de la chance, t’aurais pu être schizophréne ! »

Ces peurs induisent à leur tour une assez grande confusion : questions sans réponses mais aussi accusations et culpabilisation : « vous ne devez pas avoir de pensées violentes », « entendez-vous des voix ? Non- alors que si mais ce n’était pas dans les oreilles, seulement des pensées dans la tête »... changement de traitement chimique sans explications : les médecins savent c’est le principal… « vous devez passer une IRM », pourquoi ? « parce que c’est établi comme ça »… Aller mieux sans explications suffisantes, avec seulement l’injonction de suivre aveuglément le traitement…. Ça conduit à s’estimer assez guéri pour arrêter et c’est la rechute.

Au commencement, il y a aussi cet enfer qu’est la stigmatisation de la différence par les pairs au collège. Pour cause d’acné dans le cas de Polo ; mais nul n’ignore combien le harcèlement à l’école est fréquent et ravageur ; d’autant plus si les adultes regardent ailleurs ou minimisent les choses.

Peut-être aussi au commencement, ces images violentes jaillies d’histoires lues ou vues et débordant les capacités de compréhension et de critique d’un petit enfant. Polo pense que pour autant sa fragilité était bien antérieure : un bébé toujours en pleurs sauf quand sa maman le portait dans ses bras.

Il y a toujours un commencement avant le commencement.

Et il y a aussi un commencement de la sortie du tunnel.

 les séries télévisées – que nous avons tendance à percevoir comme une désespérante fuite de l’ado avachi sur le canapé ! - sont pour l’ado Polo un havre d’où, enfin, ne sort aucun jugement ! Le lieu de l’apaisement, provisoire mais efficace. En cas d’ennui, il suffit de zapper : c’est réconfortant de maîtriser la situation. Et ces blagues, où Polo imagine que des millions de téléspectateurs rigolent en même temps, lui donnent le sentiment d’appartenir à une humanité conviviale « une famille » apaisante.

 le don de l’écriture comme un fil d’Ariane. Polo écrit des fictions, il ressent du bonheur à écrire, depuis toujours. Et au plus fort de sa souffrance il pense qu’un jour il devra écrire ce qu’il est entrain de vivre. Ce sera quelque chose d’important et pas seulement pour lui. Pour les soignants, pour les autres malades.

 la bienveillance des proches, des infirmières : un baume.

 les choses enfin dites, la maladie nommée, mise en paroles et entendues, faisant au moins reculer l’obscurité, la confusion, et restituant une place de Sujet – malade, souffrant, certes, mais ne se résumant pas à sa maladie, et aux commandes de sa vie. « pour moi c’était un ennemi intime. La croyance que j’avais une espèce de monstre qui avait pris place dans mon cerveau. C’est difficile pour un malade de se reconnaître malade ; c’est plus facile de s’imaginer qu’on a des pouvoirs surnaturels ! ».

 l’idée paradoxale du suicide comme garantie de garder au moins ce contrôle de sa vie si tout le reste devait s’effondrer : « Quand la vie se disloque, si on peut maîtriser au moins sa mort, c’est déjà ça », une « issue de secours »

 les traitements. Pour Polo Tonka, c’est bien l’articulation de plusieurs thérapies qui lui ont permis d’aller beaucoup mieux : (on est loin des débats conflictuels entre tenants d’approches irréconciliables !)
La « psychothérapie classique » l’a amené à penser ses troubles, à parvenir à une lucidité certaine sur lui-même, à acquérir la nécessaire distance intérieure lui permettant ensuite d’écrire « de se mettre à poil »
la thérapie comportementale lui a permis de se « désensibiliser », comme d’une allergie, de sa peur de sortir, et de tous les obstacles concrets qui l’empêchaient de vivre son quotidien, un par un. L’effet s’est révélé durable. Ce qui lui a donné la capacité de s’atteler à une tâche difficile : écrire ce livre, affronter les exigences de sa promotion : radio, télévision – épreuve qu’il qualifie d’assez violente…
Les médicaments : il dit l’importance de prendre en compte la part de la chimie du cerveau et de prendre conscience que sans le traitement médical le risque de rechute reste très présent. C’est au point que grâce au médicament, « je sais aujourd’hui qu’on peut être dans une souffrance inouïe sans avoir envie de se suicider ».

Et maintenant ?

Continuer à écrire, surtout : « l’écriture c’est la capacité à sortir de soi-même, à aller vers l’autre ». L’écriture nécessite d’être seul avec soi-même en souffrant moins et permet ensuite de rencontrer, d’échanger, de sortir de la solitude, que la création du prochain livre reconstituera. Mais Polo Tonka ne souhaite pas faire la « suite » que lui demande son éditeur Odile Jacob. « se mettre à poil » une seconde fois ne le tente pas. Il veut continuer à écrire des fictions et espère trouver un éditeur. Désormais ce n’est plus une attente anxieuse ; ça se fera en temps voulu. Sa créativité a trouvé d’autres domaines réjouissants comme l’art de se préparer de la bonne cuisine, de cultiver l’amitié, la lecture…. Même s’il n’a pu retrouver le niveau de bien-être précédant sa rechute….

De la richesse des questions et des échanges – à retrouver par ailleurs dans le compte-rendu – je souhaite souligner trois remarques pour conclure cette belle soirée :

« Du côté des soignants, on manque quelque chose, si on ne tient pas compte de la découverte freudienne : il y a aussi un inconscient ! Nous sommes, notamment à Rénovation, très attachés à cette notion de Sujet et à la psychanalyse. »

« Le lien que vous avez toujours ressenti avec l’humanité, même dans les moments les plus difficiles est remarquable. »

« il n’y a pas d’humanité sans folie ; la folie concerne tout être humain. »

Pour télécharger le compte-rendu cliquez sur l’image :

compte-rendu de la conférence "dialogues avec moi-même" de Polo Tonka