
Alors qu’une manifestation est organisée en Martinique le 10 avril pour protester contre "l’impunité" dans le dossier du chlordécone, franceinfo donne la parole aux ouvriers agricoles exposés à ce pesticide durant des années.
"On a privilégié le profit au détriment de la santé des ouvriers agricoles." Debout dans une bananeraie du François, en Martinique, Marie-Hélène Marthe dite Surelly marque une pause. Les mots lui manquent pour décrire la "colère" qu’elle ressent face au scandale sanitaire du chlordécone, cet insecticide toxique utilisé pendant vingt ans aux Antilles. "J’ai vu plusieurs collègues mourir de cancer. D’autres développer des maladies [neurologiques] ou du foie", liste la secrétaire du syndicat CGTM. "Pendant des années, rien n’a été fait. Ou sé an ouvriyé agrikol, ou pè mò", s’emporte-t-elle en créole. Traduction : "On peut bien laisser mourir les ouvriers agricoles."
Pour faire entendre la voix de ces victimes, elle manifeste, samedi 10 avril, aux côtés d’autres Martiniquais indignés par la tournure judiciaire que prend ce dossier. Une plainte contre l’Etat pour "mise en danger de la vie d’autrui", déposée en 2006 par plusieurs associations de Martinique et de Guadeloupe, pourrait en effet aboutir à un non-lieu en raison d’un risque de prescription. "On nous a laissés nous empoisonner sans rien faire. Il faut chercher les responsables", martèle Harry Durimel, maire de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) et avocat qui accompagne les associations dans ce combat depuis plus de quinze ans.
De l’épandage sans gants ni masques
L’"empoisonnement" au chlordécone a débuté en 1972. Les autorités françaises autorisent alors l’homologation de l’insecticide pour lutter contre le charançon du bananier, dont les larves s’attaquent aux racines de l’arbre. A cette époque, déjà, la dangerosité de la molécule est pointée du doigt aux Etats-Unis. En 1975, la moitié des ouvriers d’une usine de fabrication du produit, en Virginie, sont intoxiqués et développent des troubles neurologiques. Le site est fermé et, dès l’année suivante, le chlordécone est interdit dans le pays. Pourtant, dans les Antilles françaises, le phytosanitaire commercialisé sur le nom de Kepone, puis de Curlone, continue d’être abondamment utilisé. (...)
"On parle du Curlone mais nous, les ouvriers, sommes baignés dans un cocktail de produits toxiques. Il arrivait même qu’il y ait des épandages aériens pendant que certains mangeaient au milieu des bananiers. Ils avaient du produit dans leur nourriture."
Marie-Hélène Marthe dite Surelly, ouvrière agricole, à franceinfo
(...)
"Le nombre de cas de cancers de la prostate a explosé aux Antilles à partir du milieu des années 1990, soit environ vingt ans après le début de l’utilisation du chlordécone. Or, il faut entre vingt et trente ans pour développer un cancer."
Josiane Jos-Pelage, médecin, à franceinfo
(...)
Fausses couches et naissances prématurées
Sans compter les conséquences sur les grossesses. Le chlordécone est un perturbateur endocrinien reconnu, qui peut avoir un effet sur le système nerveux et la fertilité. "On constate des fausses couches, des naissances prématurées, des retards de développement chez les enfants", liste Josiane Jos-Pelage, qui y voit les résultats de l’exposition au produit. (...)
Fausses couches et naissances prématurées
Sans compter les conséquences sur les grossesses. Le chlordécone est un perturbateur endocrinien reconnu, qui peut avoir un effet sur le système nerveux et la fertilité. "On constate des fausses couches, des naissances prématurées, des retards de développement chez les enfants", liste Josiane Jos-Pelage, qui y voit les résultats de l’exposition au produit. (...)
Du "zéro chlordécone" aux réparations
Harry Durimel dénonce l’omerta qui pèse encore sur ce dossier. (...)
Outre la dépollution des sols, Harry Durimel demande le "zéro chlordécone" dans l’alimentation. "On a fixé des limites maximales de résidus (LMR) dans la viande et les légumes, comme s’il était concevable de dire ’voilà la dose de poison que vous pouvez ingérer tous les jours’", s’agace le maire de Pointe-à-Pitre.
Tous gardent néanmoins un autre objectif en tête : établir clairement la responsabilité du Curlone dans ces maladies et condamner les "coupables" de cette pollution. Pour Harry Durimel, la première partie de ce combat est déjà remportée. "Nous n’avons pas encore obtenu justice, mais nous connaissons déjà la vérité."