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Police partout, médias nulle part
Nous publions sous forme de tribune [1], avec leur accord, un article publié le 27 septembre par le collectif Surveillons-les !, comité de liaison contre les violences policières de Lyon. (Acrimed)
Article mis en ligne le 17 octobre 2021

Loin des règles du métier (vérification des faits et confrontation des sources), la presse paresseuse se contente de copier les discours institutionnels et de relayer les fake news préfectorales. Le « quatrième pouvoir », en panne, participe à l’impunité policière.

C’est une véritable faillite de l’appareil médiatique local. Le 7 mars 2020, pour l’acte 69 des Gilets jaunes, la police blesse gravement au moins 26 personnes en plein centre de Lyon. Le soir même, la presse locale et nationale titrera essentiellement sur les « 24 policiers blessés » et les commerces « saccagés par les black blocs ». La palme de l’indécence revient sans doute au Progrès qui, sur le coup de 19h, fait réagir les candidats aux municipales à propos de la « violence qui frappe nos commerces » (essentiellement des banques). Les pensées du journal (propriété du Crédit mutuel), comme celles des candidats, vont aux « familles des vitrines ».

« Pref quotidienne régionale »

À 19h donc, aucune mention du « carnage » dans Le Progrès. Les deux journalistes présents pour couvrir la manif mentionnent seulement deux blessés parmi les manifestant-es, au milieu d’un récit qui fait la part belle aux « dégradations » et autres commentaires préfectoraux sur Twitter. Ce n’est que plus tard dans la soirée que l’article sera mis à jour avec la mention de 20 blessés parmi les manifestant-es. Ce chiffre, repris d’une dépêche de l’AFP, cite une première estimation (basse) réalisée par le Comité le soir-même. Après avoir passé sous silence les faits, la « presse paresseuse » pourra (au mieux) renvoyer dos à dos les blessés des deux « camps », en n’oubliant pas de préciser que la préfecture n’admet, elle, que 3 manifestant-es blessé-es. Le hic, c’est que la préfecture a omis quelques précisions.

Fake news policières

Le Comité a pu se procurer un document policier : le « PV de contexte » de la manifestation. Seuls deux fonctionnaires sont annoncés comme blessés suite à des jets de projectiles entre 14h et 18h, durée de la manif. Puis, à partir de 18h30, chaque unité procède à de mystérieux « décomptes ». En une heure, 22 nouveaux blessés apparaissent sur le PV. Explication de ce miracle : 14 membres des forces de l’ordre, y compris la commissaire en charge des opérations, se plaignent d’ « acouphènes suite à tirs de mortier ». (...)

Défaite des faits

L’ampleur de la déroute journalistique du 7 mars est certes exceptionnelle. Mais la reprise du discours officiel sans vérification constitue malheureusement une habitude. (...)

le 16 janvier 2021, lors d’une manifestation contre la loi sécurité globale (LSG) partie de Villeurbanne, France 3 annonce sans sourciller : « environ 1500 personnes ont participé à cette marche qui les a conduit jusqu’à la place Bellecour ». Problème : bloqués par la police, les manifestant-es n’ont jamais pu atteindre le centre-ville. Avec une moyenne de plus d’une grenade lacrymogène par minute, la police n’aura pas enfumé que les manifestant-es…

Chroniqueur judiciaire ou policier-journaliste ?

Février 2021. Richard Schittly, journaliste vedette du Monde à Lyon, rend compte du procès des policiers poursuivis pour le tabassage d’Arthur, le 10 décembre 2019. Il reprend le chiffre préfectoral de « 22 policiers et 3 manifestants blessés », sans préciser qu’aucun des fonctionnaires n’ira aux urgences, contrairement aux trois manifestants. En dépit des images-preuves qui tournent en boucle sur la toile, le « journal de référence » présente Arthur comme une victime de violences policières « présumées ». (...)

« Impunité médiatique »

La situation est d’autant plus problématique que, comme le souligne Nicolas Kaciaf, il existe une forme d’ « impunité médiatique ». « Lorsque certains groupes ou individus peuvent se soustraire aux règles communes, et donc échapper aux sanctions associées à leur transgression, c’est d’abord parce que leurs déviances échappent à la visibilité publique », explique le sociologue. (...)

Faire « l’actu », ou la subir ?

(...)

Nicolas Kaciaf pointe encore un autre mécanisme susceptible de contribuer à l’autocensure : « beaucoup de journalistes restent prudents parce qu’ils craignent une rupture des relations avec les sources institutionnelles – qui, dans le cas de la police, sont d’autant plus précieuses qu’elles sont loquaces, et qu’elles permettent d’alimenter régulièrement les rubriques "fait divers" ». (...)