
Nous saluons ces femmes, défenseures de l’environnement, qui se battent chaque jour au Pérou pour lutter contre les pollutions aux métaux toxiques. Zoom sur cette bataille déséquilibrée, menée pour le respect du droit à la santé de leur communauté. (...)
Pour ce faire, elles ont créé la Plateforme nationale des personnes touchées par une exposition aux métaux toxiques, qui a reçu récemment le Prix national péruvien pour les droits humains. Les femmes autochtones, rurales comme urbaines, sont particulièrement concernées par ce combat quotidien, et elles sont aujourd’hui déterminées à mettre fin à la pollution qui nuit à leurs corps, à leurs rivières et à leurs terres. Elles exigent de l’État qu’il établisse les responsabilités et apporte des solutions immédiates.
Des générations entières victimes des métaux toxiques
Des études menées par le gouvernement ont détecté la présence de métaux toxiques à des taux inquiétants dans les sources d’eau de la province d’Espinar. En apprenant les résultats des tests effectués sur son fils, Carmen a réalisé que cette terrible réalité touchait ce qu’elle avait de plus précieux.
« C’est lorsque j’ai appris la présence de dix-sept métaux toxiques dans l’organisme de mon fils que j’ai décidé de me battre. Je me suis dit que cela ne pouvait plus durer »
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Le Centre national d’épidémiologie, de prévention et de contrôle des maladies du ministère de la Santé péruvien a recensé les cas de 4 867 Péruviennes et Péruviens ayant été exposés à des métaux lourds. Cependant, ce chiffre est partiel et sous-estime la véritable ampleur des effets de la pollution sur l’eau et sur la santé humaine. Selon la Plateforme nationale des personnes touchées par une exposition aux métaux toxiques, le nombre de personnes exposées quotidiennement à un mélange toxique de polluants chimiques tels que l’arsenic, le cadmium, le plomb et le mercure, entre autres, serait beaucoup plus élevé.
Ce qui ne fait aucun doute, ce sont les effets de ces métaux sur la santé humaine. Selon l’Organisation mondiale de la santé, une exposition prolongée à ces métaux toxiques peut provoquer différents problèmes de santé chroniques, comme des pertes de mémoire, une infertilité, une perte de vision, du diabète, des maladies hépatiques, des défaillances rénales et des cancers et avoir des conséquences irréversibles sur le développement fœtal.
Dans leur majorité, les personnes concernées estiment que la responsabilité de cette pollution historique, dangereuse pour la vie des personnes, repose principalement sur l’exécution, dans tout le pays, de mégaprojets de l’industrie extractive principalement liés à l’activité minière et à l’extraction de combustibles fossiles, ainsi que sur l’indifférence du gouvernement.
Investissements et activités à risques pour l’homme et l’environnement
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Les chiffres officiels font état de 8 448 « passifs environnementaux » liés à l’activité minière au Pérou. Les « passifs environnementaux » correspondent aux installations minières, aux flux de déchets, aux émissions et aux stocks de déchets dans les mines actives, inactives ou abandonnées qui représentent un risque pour la santé humaine et environnementale. De plus, au cours de ces dernières années, l’oléoduc Norperuano a déversé du pétrole dans les rivières et les cours d’eau du bassin amazonien à de nombreuses reprises. Selon l’Agence de surveillance des investissements dans l’énergie et les mines (OSINERGMIN), 51 déversements provenant de cet oléoduc ont été recensés entre juin 1997 et mars 1998.
Un déversement de ce type s’est produit en janvier 2016. Plus de 3 000 barils de pétrole se sont déversés dans la rivière amazonienne de Chiriaco, puis se sont écoulés jusqu’à la rivière Marañón, sur le territoire du peuple autochtone Awajún, qui représente la deuxième population autochtone au Pérou. Dans une résolution, le ministère de l’Environnement a imputé au pétrole les dommages considérables constatés en termes de santé humaine et au niveau des sources d’eau, de la faune et de la flore dans la zone.
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Ne jamais abandonner revient notamment à lutter pour que les acteurs responsables de la pollution apportent une réponse et des réparations par rapport aux dommages qu’ils ont occasionnés. (...)
La pollution des sources d’eau traditionnelles est un problème majeur qui reste sans solution pour de nombreuses communautés (...)
Face à un État lui-même toxique
En 2017 déjà, nous avions tiré la sonnette d’alarme en publiant un rapport sur la situation à Cuninico et à Espinar qui concluait que l’État péruvien avait violé le droit à la santé des habitants de ces communautés. Nous avions ainsi appelé l’État à offrir une prise en charge médicale spécialisée aux personnes touchées par la pollution aux métaux toxiques. Nous avions également exhorté le gouvernement à enquêter pour établir les causes de la pollution des sources d’eau dans ces communautés et à publier ses conclusions, afin d’ouvrir la voie à l’adoption de mesures d’urgence visant à garantir que ces populations ne soient plus contraintes de consommer une eau polluée. D’autres organisations ont mené des travaux similaires.
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l’exposition aux métaux toxiques a des conséquences désastreuses sur la santé humaine, et, à ce jour, l’État n’a pas rempli son obligation de dispenser des traitements complets et adaptés aux personnes exposées à ces polluants. (...)
Sensibiliser et obtenir des changements
Dans ce contexte, la Plateforme nationale des personnes touchées par une exposition aux métaux toxiques a été créée en 2017 et est soutenue par des organisations sociales et de défense de droits humains, dont Amnesty International. La Plateforme a joué un rôle crucial dans la sensibilisation et la recherche de solutions aux graves problèmes de santé auxquels sont confrontés des milliers de Péruviens et Péruviennes. La Plateforme, qui représente les personnes touchées de douze régions du Pérou, demande la mise en œuvre effective d’une politique et d’un plan à l’échelle nationale afin de répondre aux problèmes liés à la santé humaine et environnementale dus aux métaux toxiques. La plateforme appelle également à la création de toute urgence d’une commission multisectorielle de haut niveau qui fasse de ce grave problème une priorité.
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Désormais, ces communautés ne sont plus isolées : elles ont renforcé leurs liens et ont gagné en autonomie par l’échange d’expériences, le renforcement des capacités et un travail de plaidoyer auprès des autorités et des médias. Elles obtiennent déjà des changements politiques et ont réussi à faire de leur cause une question centrale au sein de la politique nationale. (...)
En octobre 2019, le gouvernement s’est engagé à créer la commission multisectorielle demandée par la Plateforme. Cependant, malgré ces avancées importantes, les sources de pollution existent toujours, des milliers de personnes continuent d’être exposées au quotidien à des polluants toxiques et sont privées d’accès à l’eau potable. Pour la Plateforme, le combat continue. (...)
Se battre pour défendre l’environnement, la terre et le territoire au Pérou a un prix élevé : diffamation, menaces, criminalisation, entre autres, sont monnaie courante. En 2017, nous avions documenté le recours à ces pratiques dans un rapport intitulé A Recipe for Criminalization : Defenders of the environment, territory and land in Peru and Paraguay. Elles n’ont cependant pas entamé la détermination de ces femmes. À mesure que leur combat pour le droit à la santé, à l’eau potable et à un environnement sain prend de l’ampleur, il devient de plus en plus gênant pour les autorités nationales qui négligent souvent les communautés éloignées de la capitale. (...)