
Quelles leçons tirer de l’animalité, pour renouveler nos manières habituelles et par trop humaines de penser et de faire de la politique ?
Les questions relatives aux rapports entre animaux et humains, ou aux frontières qui séparent et relient les hommes et les animaux, donnent souvent lieu aux propos les plus caricaturaux : soit que l’on nie sèchement toute possibilité d’établir des rapprochements entre les uns et les autres, soit qu’on se l’autorise de manière souvent confuse, faute d’établir clairement les critères de ce rapprochement. Trop souvent aussi, ceux qui veulent parler du déplacement des frontières entre humanité et animalité prennent pour cible les perspectives philosophiques du passé sans pour autant les embrasser dans leur complexité. Ainsi la mise en accusation de l’humanisme classique, en particulier, revient surtout à citer Descartes à tout bout de champ, alors que la tradition philosophique est bien loin de se résumer à son œuvre. (...)
Parmi les nombreux livres consacrés à ces thèmes, et souvent indiqués sur Nonfiction, on commence à connaître un peu mieux, en France, les travaux de Donna Haraway, qui insiste en particulier sur le continuum reliant l’animal et l’humain.
C’est une autre veine d’analyse que représente le philosophe canadien Brian Massimi, spécialiste de théorie politique et d’esthétique et traducteur de Mille Plateaux, de Deleuze et Guattari, qui consacre désormais son temps aux questions d’écologie.
Un objet redessiné
Le titre de l’ouvrage, Ce que les bêtes nous apprennent de la politique, ne laisse pas de place au doute. Il ne surprendra d’ailleurs pas ceux qui ont entendu l’auteur présenter un premier état de cette recherche au cours d’une séance du Collège international de philosophie (en 2013). Il met l’accent sur le processus à travers lequel il serait possible aux humains de se comprendre autrement, tout en comprenant autrement les animaux. Il propose aux humains de dépasser l’anthropomorphisme qu’ils entretiennent à l’égard d’eux-mêmes. Mais attention : il n’est pas question, dans la démarche de l’auteur, de parler de la possibilité d’une politique humaine ou plus humaine envers les animaux. L’objectif est tout autre : penser le politique à partir de l’animal.
Pour accomplir un tel dessein, il convient d’abord de ressaisir des concepts anciens, parce que leur signification reste enfermée dans la péjoration du règne animal. Tels sont les concepts de nature, d’instinct, de jeu, etc. Autant de concepts qui demeurent habituellement enclos dans le portrait de sujets (animaux ou humains) préconstitués. Ce qui est caractéristique de cette reprise de la notion d’instinct, ici reconstruite en incluant un élément de créativité. Cette inclusion va jusqu’à introduire une notion de « pensée animale », voire une notion de « conscience réflexive ». Il est vrai que tout dépend de la manière de définir ces termes, et aucun refus a priori ne doit rebuter le lecteur. On peut ensuite en discuter.
En un mot, il est question surtout du problème des prérogatives de l’humain, ou plutôt des prérogatives que l’humain s’est accordé vis-à-vis de tous les êtres possibles dans le monde. Au cœur de ces prérogatives se trouve évidemment le langage. Il est constamment entendu que les animaux n’en disposent pas. Bien sûr, là encore, tout est question de définition. Et l’on peut souvent avoir peur de voir certains auteurs se contenter d’inverser des propos antérieurs, pour tenter de convaincre leurs lecteurs, mais ce n’est souvent que conviction.
Enfin, pour revenir au thème de l’ouvrage, le politique et l’animal (ou la conception de l’animal), l’auteur veut faire partager l’idée d’une « politique intégralement animale », c’est-à-dire libérée des paradigmes traditionnels sur un prétendu état de nature hargneux, ou sur une conception mécanique de l’instinct qui imprègne tant d’aspects de la pensée moderne.
Six préjugés tenaces (...)