
La BCE doit imprimer des billets pour éponger les déficits liés à cette crise du coronavirus. Si ce n’est pas le cas, il faudra peut-être envisager une contribution de crise, dit le professeur Paul De Grauwe.
(...) "Honnêtement, je ne pensais pas que ce serait possible. Angela Merkel a une nouvelle fois surpris tout son monde." "
Le retournement de la situation est très significatif. Il est même spectaculaire en Allemagne. Honnêtement, je ne pensais pas que ce serait possible. Angela Merkel a une nouvelle fois surpris tout son monde. J’ai été impressionné par son argumentation selon laquelle "quand l’Europe va bien, l’Allemagne va bien aussi". Il ne s’agit donc pas d’aider un pays comme l’Italie seulement pour des raisons éthiques, mais également parce que c’est dans le propre intérêt de l’Allemagne de le faire. C’est une sorte d’altruisme éclairé. (...)
" "Les Pays-Bas oublient tous les bénéfices qu’ils tirent de l’Europe. C’est vraiment dommage." "
Je constate que le Danemark se dissocie quelque peu des autres pays dits frugaux. Pour ce qui est des Néerlandais, cela remonte au discours du ministre des Finances Gerrit Zalm qui avait toujours l’impression de payer trop pour l’Europe, comme le disait à l’époque Margaret Thatcher.
C’est devenu la seule dimension dans le discours politique néerlandais. Les Pays-Bas oublient tous les bénéfices qu’ils tirent de l’Europe. C’est vraiment dommage car c’est un pays qui par le passé était enthousiaste pour les idées européennes. (...)
Bien entendu, si on finance tous les déficits budgétaires année après année par de l’émission de monnaie, cela pourrait entraîner de l’hyperinflation, c’est une leçon de l’histoire. Mais il faut bien se rendre compte qu’il s’agit ici d’une crise historique, même d’une crise existentielle. Et donc il faut employer tous les moyens dont on dispose afin d’éviter que cette crise n’entraîne une augmentation de la dette qui rendrait cette dernière insoutenable pour certains pays. Je pense notamment à l’Italie dont le ratio dette/PIB pourrait grimper à 170%. Cela pourrait entraîner une nouvelle crise très destructrice, avec un possible défaut de paiement et une sortie de la zone euro. C’est le scénario à éviter. (...)
Un tel financement monétaire doit en effet conserver un caractère unique. Une fois que la crise est terminée, il s’agit de retourner à la normale. Cette solution est-elle crédible ? Oui, car la BCE est la banque centrale la plus indépendante au monde. Aucun gouvernement de la zone euro ne peut demander de l’argent à la BCE pour résoudre ses problèmes, ce qui n’est pas le cas en Angleterre et aux États-Unis. La garantie dans la zone euro est donc beaucoup plus forte qu’ailleurs qu’un financement monétaire ne pourra pas se perpétuer dans le temps. Alors oui, il y aura peut-être de l’inflation pendant un certain temps. J’ai calculé que l’on pourrait connaître une hausse des prix de 4 à 5% pendant trois, quatre ou cinq ans. Est-ce si dramatique que cela ? Je ne le pense pas. C’est donc le moment de mettre certains dogmes de côté. (...)
Vous êtes opposé à "l’hélicoptère monétaire" qui distribue de l’argent à tout le monde ?
Distribuer le même montant d’argent à tout le monde n’a pas de sens. Si dans mon cas personnel, je reçois de l’argent, je vais le mettre sur mon compte en banque. C’est de l’argent dont je n’ai pas besoin. Dans la proposition que je défends, c’est l’État, par son budget, qui identifie les gens qui ont réellement besoin de cet argent : les ménages ou les PME qui sont les plus touchés par la crise. C’est une forme de monnaie hélicoptère, mais plus intelligente.
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Je me rends bien compte que certains ne veulent pas de cette solution de financement monétaire pour des raisons dogmatiques. Alors que fait-on ? Si la reprise économique est forte, cela ne pose pas trop de problèmes. Mais si la reprise est plus lente, il faudra effectivement prendre des mesures. Et là, il faudra peut-être faire participer à l’effort ceux qui n’ont pas été affectés par cette crise, dont des gens comme moi qui ont pu continuer à travailler. Ce que je propose, c’est de faire contribuer ceux qui gagnent plus de 4.500 euros en net par mois, soit 10% de la population. On pourrait leur demander de payer 20% supplémentaires sur la partie qui dépasse 4.500 euros. Si un ménage gagne 5.000 euros, il paierait 20% en plus sur 500 euros, soit 100 euros par mois. C’est le prix d’un dîner à deux dans un bon restaurant. (...)
Je reste libéral. Je trouve que le système de marché doit être préservé. Mais il est nécessaire de le corriger quand il ne fonctionne pas bien. Cette crise touche surtout les bas revenus. Être libéral ne signifie pas que l’on ne se préoccupe pas des autres. (...)
on constate aujourd’hui que ce système social constitue un investissement. Sans ce système social, il n’y aurait pas la cohésion sociale qui est indispensable pour que le système de marché fonctionne correctement. On pourrait aussi bien dire que c’est l’éducation qui est la base du système. L’industrie dépend du niveau de l’éducation, elle dépend aussi d’un bon système de santé. Si les travailleurs tombent malades, l’industrie est incapable de fonctionner. On le voit aujourd’hui. En fait, cela n’a pas de sens d’identifier un secteur comme étant plus important que d’autres. (...)
L’État et le marché sont tous les deux nécessaires. La question pratique est de savoir qui va faire quoi. Il s’agit de voir comment l’État et le marché peuvent interagir de manière intelligente. C’est là que se situe le vrai débat. (...)