
Il y a celles qui s’enchaînent à un arbre, ceux qui multiplient les recours en justice, les grévistes de la faim et les vidéastes militants... Le mouvement en défense des arbres bourgeonne et profite de l’efficacité des réseaux sociaux. En ville, dans les forêts, « on bataille partout », résume Thomas Brail, resté 28 jours sur les branches d’un platane.
Le mouvement croît dans la pénombre comme une force souterraine. Chaque jour de nouvelles pousses surgissent. Depuis quelques années, de plus en plus de femmes et d’hommes se mobilisent pour défendre les arbres et pour empêcher des coupes abusives. En zone périurbaine, au milieu des métropoles ou parfois à la campagne, ils lancent des pétitions pour sauver de vieux peupliers, un chêne centenaire ou des marronniers plantés sous Napoléon. Certains s’attachent aux arbres menacés par le béton, d’autres interpellent les élus et engagent des recours juridiques. Les actions se multiplient.
En ville, désormais, les forces de l’ordre accompagnent régulièrement les bûcherons. À Condom, petite ville du Gers, en septembre 2019, soixante-dix gendarmes mobiles ont dû bloquer le centre-bourg pour abattre seize platanes face à une population en pleurs et en colère. À Nîmes, en 2017, avant de couper les micocouliers du square de la Bouquerie, à six heures du matin, la police a dû boucler tout le quartier pour prendre de court les riverains et éviter la contestation. À Marseille, aussi, le bruit des tronçonneuses a lancé l’homérique bataille de la Plaine : plusieurs mois de confrontations, de manifestations et de carnavals pour tenter de sauver une place populaire de la gentrification. (...)
Les arbres sont des empêcheurs de bétonner en rond. Ils se trouvent toujours en première ligne face aux grands projets d’aménagement, les requalifications de centres-villes, les agrandissements de voirie ou les constructions de parkings. (...)
« Chez les décideurs, il y a un mépris de l’arbre »
En quelques secondes, on abat sans scrupule des êtres centenaires qui sont autant de monuments naturels. Les services municipaux les remplacent souvent par de jeunes arbrisseaux en pot, plus domesticables. Les promoteurs rêvent d’une nature en cage, d’un vivant inerte que l’on réduit à un simple décor. Les collectivités, elles, le considèrent comme du « mobilier urbain ». (...)
Francis Hallé à Reporterre. « Les arbres méritent mieux que la piètre estime des élus. Ils sont nos meilleurs alliés dans la lutte contre la dégradation de notre cadre de vie ». Récemment, le scientifique a apporté son soutien à un collectif de riverains, habitant à Castelnau-le-Lez, en périphérie de Montpellier. Ils défendent ensemble, ardemment, un chêne bicentenaire baptisé Anathémis et labellisé « arbre remarquable ». Pendant plusieurs semaines, des dizaines de personnes se sont relayées pour bloquer des camions de chantier qui menaçaient de rouler sur les racines de ce majestueux ancêtre. La bataille dure toujours. (...)
En quelques années, une floraison d’associations de ce type est apparue. À l’origine, la révolte vient toujours de l’intime. Elle naît d’un sentiment viscéral, que certaines et certains ressentent en voyant un arbre tomber. L’absurdité d’entendre son tronc craquer, de voir ses branches se fracasser au sol, à l’heure du réchauffement climatique et de l’érosion de la biodiversité. (...)
Ailleurs, d’autres citoyens ont entamé des grèves de la faim. Sur certaines communes, des clous ont été plantés la nuit dans des platanes pour faire dérailler les tronçonneuses. (...)
L’engouement actuel pour les arbres révèle notre besoin de reconnexion au vivant, estime également le chercheur en écologie végétale Jacques Tassin. Loin d’être une simple mode, ce mouvement illustre la période charnière que nous traversons (...)
En 2019, un collectif national s’est monté pour coordonner les luttes locales. Le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) comprend aujourd’hui 90 antennes. Il a été créé sous l’impulsion du grimpeur arboriste Thomas Brail. Ce dernier s’est fait connaître pour avoir occupé pendant un mois, en août 2019, un platane juste devant le ministère de la Transition écologique boulevard Saint-Germain. Il y avait installé un hamac à 17 mètres de hauteur. Le grimpeur n’a pas posé le pied au sol pendant vingt-huit jours. Il protestait contre des coupes abusives dans des communes du Sud-ouest. (...)
« On a créé une dynamique, il faut rester à la hauteur », dit celui qui sillonne la France pour soutenir les luttes locales. Au niveau national, le GNSA se targue d’avoir déjà sauvé un millier d’arbres urbains en deux ans. « Et ce n’est que le début », prévient le grimpeur.
« Je n’ai pas trouvé d’autres solutions que de venir m’attacher aux arbres » (...)
Sur les réseaux, les groupes locaux sont particulièrement actifs. (...)
Il y a là un côté Gilets jaunes. On se filme devant le massacre, au milieu d’une coupe rase, comme en manifestation au cœur des gaz lacrymogènes. On pousse des coups de gueule, alimentés par les likes et les partages.
Récemment, un début d’alliance s’est tissé, prometteur. Le mouvement de défense des arbres a rencontré celui qui protège les forêts. (...)
En face, la menace est prise très au sérieux. Dans un rapport, le ministère de l’Agriculture dit s’inquiéter du « nouveau contexte fondé sur la découverte d’une sensibilité des végétaux, en particulier des arbres » : « Après les débats sur le bien-être animal, on en vient à se demander si l’opinion publique ne serait pas en train de se mobiliser en faveur de quelque chose qui ressemblerait à un combat pour le bien-être végétal », écrivent les hauts fonctionnaires auteurs du texte. (...)
Thomas Brail, lui, balaye les critiques. « On tente de nous caricaturer mais il serait temps de comprendre que l’arbre est à la base de tout. S’il n’y a pas d’arbres, il n’y a plus d’oiseaux, plus d’insectes, plus de champignons, s’il n’y a plus d’arbres, nous sommes tous morts. »