
L’obligation d’une référence diagnostique au DSM nuit à la scientificité ; elle contrarie le soin psychique ; elle est coûteuse pour les Etats ; elle paralyse la recherche et l’enseignement
Manifeste
La « souffrance psychique » déborde la définition habituelle des maladies, car elle peut concerner chacun. L’Organisation Mondiale de la Santé la considère comme une priorité. Mais l’O.M.S. s’est engagée sur ce terrain selon un choix univoque, en considérant comme un acquis scientifique le manuel de l’A.P.A. (American Psychiatric Association). Ce choix unique de l’O.M.S. porte un nom générique, celui du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). Sa troisième version stigmatise les conflits d’intérêt en psychiatrie et elle est contemporaine des recommandations de traitements comportementalistes et des TCC. Et comme ces méthodes sont aléatoires, elles participent de la promotion d’un complément pharmacologique indispensable.
1. Quelle est la valeur scientifique du DSM ?
Son ancêtre, le SCND est une compilation empirique rédigée en 1932 pour l’armée américaine.
En 1948, l’O.M.S. s’en est servi pour rédiger l’International Classification of Diseases, qui en est à sa dixième version (ICD10 ou CIM10 pour la France). Les différentes versions du DSM ont été rédigées depuis 1952 par l’American Psychiatric Association.
Alors que le DSM II prenait en compte l’approche dynamique de la psychopathologie, le DSM III, qui parut en 1980, a évacué toutes références à la psychanalyse au nom d’une totale neutralité théorique. Il en résulte une méthodologie descriptive, volontairement ignorante des concepts psychologiques à partir desquels aurait pu s’élaborer une classification objective, clinique et scientifique des grands champs de la psychopathologie.
Il existe de nombreux sous-ensembles du DSM. Leur méthodologie va à contresens des critères d’objectivité de n’importe quelle branche des sciences de la nature, comme de ceux de n’importe laquelle des sciences humaines. Pour qu’une observation prétende à la scientificité, il faut qu’elle isole des invariants latents, des déterminismes qui font axiomes et dégagent des structures réduites. Cette démarche s’appuie sur l’observation de faits en se gardant de tout présupposé. Elle s’appuie sur les acquis de l’expérience qui seule permet de vérifier leur intérêt diagnostique et leur valeur prédictive. C’est le contraire de la méthodologie du DSM, qui n’a aucun précédent dans aucune science, sinon les premières classifications encyclopédiques (Linné, Buffon…) qui classaient les espèces selon des caractères distinctifs avant de se tourner vers des classifications comparées mettant en évidence des traits communs aux différentes espèces.
Dans son introduction, il est vrai, le DSM se déclare idéologiquement athéorique. Mais est-ce possible dans la recherche ? Le DSM démontre lui-même que non, car il suffit qu’une liste de « troubles » manifestes soit établie sans tenir compte des structures où ils s’inscrivent, il suffit que ces « troubles » soient détachés des circonstances subjectives de leur éclosion, pour que l’hypothèse d’une cause organique s’impose aussitôt. (...)
L’expérience a montré que les acteurs de la santé pouvaient faire reculer les effets de l’idéologie DSM. Par exemple, le succès de la pétition « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans », signée par plus de 200000 personnes, suite à l’expertise INSERM sur « le trouble des conduites », a amené l’INSERM à relativiser des travaux pourtant donnés comme scientifiques. De même, l’« Appel des appels » a capitalisé les critiques à l’égard des nomenclatures avec celles de la santé, de l’enseignement, ou de la recherche, en regroupant l’initiative de « Sauvons la Clinique ». D’autres réponse aux menaces actuelles ont déjà eu lieu, ou sont en cours, comme « Le collectif des 39 contre la nuit sécuritaire » qui a réuni récemment (octobre 2010) plus de mille personnes à Villejuif. (...)
En 2003 à Montpellier, les États Généraux de la Psychiatrie ont déjà permis une prise de position commune à l’égard du DSM IV d’une grande partie des associations psychiatriques, de la presque totalité des associations psychanalytiques et du SIUERRPP qui regroupe une grande majorité des enseignants-chercheurs-praticiens en psychopathologie clinique. La plupart des sociétés psychanalytiques françaises ont signé à cette occasion une déclaration où elles se proposaient « de travailler en commun avec les professionnels de la psychiatrie à la construction d’une référence psychopathologique plus en accord avec la réalité clinique du sujet ». Comme le note cette déclaration, le DSM engendre une pratique qui « confond le malade et la maladie. Une pratique qui ne tient pas compte de la subjectivité de l’inconscient, du conflit psychique, autant de concepts qui montrent que nos patients ont une histoire et un univers relationnel qui sont partie prenante dans la clinique qu’ils présentent ». (...)