
Il a d’abord fallu aller demander à Robert Neuburger s’il était d’accord pour un portrait de lui en plusieurs épisodes dans Heidi.news. Il m’a proposé de venir le voir à Genève en m’invitant à un séminaire qu’il organisait, comme tous les mois depuis trente ans, avec des amis psys pour comprendre les évolutions de la société en matière de couple et de famille. C’était l’un de ses derniers. Neuburger voulait arrêter à la veille de ses 80 ans.
(...) C’est un séminaire de psys. Dix d’un coup. Enfin, pas tout à fait. Depuis trente ans qu’il vit à Genève, il organise ces rendez-vous une fois par mois, gratuitement, avec ceux que ça intéresse : ses étudiants de la fac, des confrères et amis, des curieux. Certains sont directeurs de foyers sociaux, d’autres psychologues, voire psychiatres, « des thérapeutes, pas très prescripteurs de médicaments », précise notre hôte en faisant les présentations. Vient mon tour ; j’en profite pour lui rappeler que je fais l’aller-retour de Paris exprès pour lui parler. Il n’avait pas compris, il ne va pas avoir de temps en sortant non plus. Ca l’embête. Moi aussi. Il se racle la gorge. Et si je me joignais au petit groupe qui va dîner à la pizzeria après ? (...)
« De manière générale, la fréquence des rapports sexuels a diminué, surtout chez les jeunes. Ils n’ont plus d’intérêt à la séduction. » Robert Neuburger ouvre la discussion en citant un article du Monde sur de jeunes adultes qui ne veulent pas faire l’amour. Il tient à la main quatre grandes feuilles noircies de notes. Il a préparé durant le week-end. Le séminaire d’aujourd’hui porte sur la transmission des valeurs dans les institutions -familles, couples, pays, etc.-, et plus particulièrement sur la transformation des rapports entre hommes et femmes. Ses collègues participants le constatent aussi : ils reçoivent de plus en plus d’hommes à la sexualité solitaire et à qui la situation convient.
Influence des jeux virtuels qui ne donnent pas envie de se confronter au réel ? Rôle de la pornographie qui permet de se masturber sans fin ? Importance prise par les sex toys en comparaison desquels « le mec est forcément minable », comme dit mon voisin ? Chacun y va de son observation, dans son cabinet ou dans son institution, de chiffres et d’études qu’il a lus, et surtout de questions. « Ce n’est pas un manque de libido, c’est un déplacement », poursuit dans son raisonnement l’organisateur, ses grandes jambes croisées sous sa petite chaise pliante, constatant qu’« il y a quelque chose de fraternel qui est en train de se créer » dans les groupes de jeunes, entre hommes et femmes. « Une société fraternelle ? », questionne une participante. « Ca n’engendre pas beaucoup... » Sachant que, dans le même temps, remarque Neuburger, « les politiques font pression pour libéraliser les moyens de procréation ». Silence de réflexion dans l’assemblée. En tous cas, conclut-il, « le couple, qui était très valorisé ces derniers temps, et qui a engendré des foules de thérapeutes de couples, perd de la vitesse... » Sourires amusés.
Robert Neuburger a lui-même longtemps reçu des familles et, s’il a élargi sa spécialité, c’est qu’il a vu arriver dans son cabinet de plus en plus de couples. (...)
Il est rare de rencontrer un « chercheur » qui enfante une pensée. Des bouts, des morceaux, qui se répètent inlassablement, oui. Des théories ardues au jargon nébuleux qui restent cantonnées à leur domaine, aussi. Des commentaires lumineux, également. Mais une pensée simple, qui ressemble au bon sens, à moins que ce ne soit de la complexité digérée, et qui éclaire d’un jour nouveau les situations vécues comme les évolutions de société, j’en ai peu croisés. Si en plus cette pensée fait du bien… D’où mon envie de faire un portrait en profondeur, en plusieurs épisodes, de Robert Neuburger. S’il me laisse l’occasion de le lui proposer. (...)