
Les personnels profitent de la crise du secteur pour exprimer leur malaise et pousser leurs entreprises à évoluer.
Gardez votre ceinture attachée, l’aviation low cost traverse une zone de turbulences. Après les multiples grèves dans la compagnie Ryanair en 2018, Air France a annoncé début janvier la fermeture de sa filiale à bas coûts Joon, la compagnie Norwegian a communiqué sur un déficit d’environ 390 millions d’euros en 2018 et la compagnie islandaise WOW a brutalement mis fin à son activité, laissant 4.000 passagers sur le carreau. Des événements significatifs alors que la fréquentation de leurs vols n’a pourtant jamais été aussi forte. (...)
Des résultats qui permettent à ces compagnies low cost de s’installer à la table des mastodontes historiques que sont la Lufthansa ou Air France-KLM. Mais qui n’occultent pas le malaise de plus en plus perceptible au sein de ces entreprises. « L’ambiance au travail est horrible, les mauvais rapports entre direction et salariés provoquent une dégradation des rapports entre salariés eux-mêmes. » Ces propos sont par exemple ceux d’une employée de la base française de Norwegian, que nous avons pu recueillir. (...)
Salaires trop bas, plannings surchargés, management agressif, pressions de la hiérarchie ou encore managers injoignables ; la liste des griefs est longue. Comme la goutte qui fait déborder le vase, une autre employée évoque un détail plutôt pénible : « Certains n’ont toujours pas d’uniforme complet. J’ai dû faire neuf mois avec un seul pantalon et une robe, c’est juste pour assurer les vols ». Derrière l’anecdote, la sensation de l’impréparation de la compagnie. « On a l’impression qu’ils se sont dit “Tiens si on ouvrait une base en France ?” le vendredi, et le lundi ils étaient là ! »
Dès les premiers mois, certain·es tentent d’alerter la direction sur des irrégularités dans les contrats. « On nous a répondu : “De toutes nos bases dans le monde, Paris CDG est celle qui coûte le plus cher. Donc estimez-vous déjà heureux”. » Huit mois et un préavis de grève plus tard, des changements sont réalisés, un premier dialogue social se met en place. La direction des ressources humaines est alors remaniée et l’entreprise accorde la prise en charge de la moitié des frais de transport, des carences maladie (en partie), et une prime uniforme de 35 euros.
Malgré cela, les démissions se poursuivent et les revendications demeurent. « On doit parfois faire huit vols en treize jours, c’est trop, et trop mal payé », raconte encore une employée. Pour sa défense, Norwegian, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, a longtemps déclaré attendre les élections du comité social et économique (qui remplace les comités d’entreprise) –des élections qui ont pris plusieurs mois de retard.
Air France : pas beaucoup mieux chez Joon (...)
Joon a un statut un peu hybride. Elle n’est pas tout à fait une compagnie low cost, mais tente d’être plus productive que ses concurrentes classiques. Sa principale source d’économies concerne les salaires du personnel. Un chef de cabine chez Joon peut ainsi être payé 500 à 600 euros de moins qu’un simple PNC chez Transavia, nous explique Akli Benhamma, membre de l’intersyndicale de Joon. « Joon c’est la compagnie un peu à l’écart du groupe Air France, celle avec les pires conditions de travail. » (...)
Contrairement aux autres sociétés du groupe, c’est la réglementation européenne, plus souple, notamment dans la définition du temps de travail, qui y est appliquée. Les plannings plus lourds sont mal acceptés par le personnel. Les chambres d’hôtels lors des escales, au Brésil ou au Portugal par exemple, laissent parfois à désirer. Le moral est bas dans les équipages et la fatigue gagne du terrain. Il faut parfois débarquer un membre de l’équipage pour ne prendre aucun risque en matière de sécurité. Au bout du compte, certains PNC renoncent même à leur CDD. (...)
La compagnie n’aura pas eu le temps de souffler sa deuxième bougie et ses personnels doivent être intégrés à la maison mère en avril.
Du mieux, un peu
Portée par ses résultats commerciaux, Ryanair est loin d’être en danger mais la compagnie irlandaise a également connu une année 2018 agitée. En mars, une série d’annulations de vols en raison d’un grave problème de plannings de ses pilotes a révélé une nouvelle fois un malaise social profond au sein de la compagnie. Contrats de travail irlandais moins favorables aux employé·es, surcharge du nombre d’heures de vol ou menaces sur le personnel, Ryanair a été pointée du doigt pour ses mauvaises pratiques. (...)
Sous pression, la compagnie a dû accepter de reconnaître des syndicats jusque-là inexistants. Malgré cela, les grèves se sont multipliées au second semestre. En juillet, un mouvement sans précédent des personnels de cabine a entraîné l’annulation de 600 vols en Belgique, Irlande, Italie, Espagne et Portugal, et affecté au total 100.000 passagers.
À la fin de l’année, la compagnie est finalement parvenue à conclure différents accords sociaux dans les pays concernés pour « normaliser » ses rapports avec ses salarié·es. La principale avancée pour les personnels de la compagnie constitue l’application du droit du travail du pays dans lequel ils sont embauchés. (...)
En quelques mois, ces compagnies à qui tout semblait réussir ont donc dû évoluer. Chez Air France, la fermeture de Joon signe une montée en gamme de la compagnie. « Comme Ben Smith l’a dit, nous allons continuer notre rotation vers un service “premium”. Air France, c’est l’art de voyager “à la française”, nous allons augmenter la qualité de nos services avec des repas de chefs, des salons voyageurs, des classes supérieures plus grandes et repensées dans les avions », explique le porte-parole d’Air France.
La décision, prise par Ben Smith, marque une inflexion illustrée par la volonté de laisser dans le même temps sur le tarmac les images de conflits sociaux, de bousculades entre grévistes et cadres dirigeant·es. « L’idée, c’est qu’un dialogue social apaisé permet de faire des choses. [...] En allant vite, ça permet par exemple de simplifier la marque Air France. » La compagnie assure que la montée en gamme s’accompagne de meilleures conditions de travail, au travers d’accords avec les pilotes et les PNC.
EasyJet, le bon élève
Et parmi les compagnies qui persévèrent dans le low cost, toutes vont devoir s’adapter. Même chez l’Espagnole Volotea, décrite par beaucoup de PNC comme l’une des pires compagnies où travailler –personnel non-francophone, salaires bas, instabilité des plannings–, les sections syndicales se multiplient, la dernière en date s’étant créée à Toulouse en 2018.
« On assiste en ce moment à une espèce de consolidation dans le secteur », estime Arnaud Wiplier, président de la section EasyJet au sein du Syndicat national des pilotes de ligne. Selon lui, la situation évolue « mais les compagnies ne vont pas toutes à la même vitesse ». Il vante ainsi le modèle de sa compagnie, qui depuis longtemps a décidé de jouer le jeu des contrats locaux. (...)