
Des sociétés savantes ont vivement réagi à la prépublication d’une nouvelle étude de Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine. Plus de trois ans après le début de la pandémie, l’impuissance est générale : médicale, scientifique, sanitaire, judiciaire.
Malgré le départ de sa figure de proue Didier Raoult, l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille n’en finit pas de faire parler de lui. Le 4 avril dernier, Didier Raoult cosigne avec 16 membres de l’IHU, de l’université d’Aix-Marseille et de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) une nouvelle étude affirmant encore l’efficacité de son traitement fétiche – l’hydroxychloroquine et l’azithromycine – contre le Covid-19. Cette fois, leur étude s’appuie sur une cohorte de plus de 30 000 patientes et patients testés positifs au sein de l’IHU.
Plus de trois ans après le début de la pandémie, et après de très nombreuses enquêtes de presse, puis des inspections, qui ont débouché sur des signalements et des plaintes en justice, une dizaine de sociétés savantes françaises s’associent dans une tribune, pour la première fois en aussi grand nombre, pour dénoncer ce qui est, à leurs yeux, « vraisemblablement le plus grand essai thérapeutique “sauvage” connu à ce jour ». (...)
Pourquoi dénoncer cette pratique aujourd’hui ?
« La publication par Didier Raoult de son essai sauvage a été la goutte d’eau », explique le professeur Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie du CHU de Bordeaux et membre de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique. Il a sollicité et convaincu ces sociétés savantes de dénoncer publiquement les méthodes de l’IHU.
Un cri d’alarme tardif qui « pourrait apparaître comme une tribune de résistants de 45 », concède ce professeur, interrogé par Mediapart sur les raisons du silence de certaines sociétés au plus fort de la crise du Covid-19, alors même que Didier Raoult se vantait toujours de prescrire l’hydroxychloroquine, pourtant interdite et mettant en danger les patient·es. (...)
« On a été confrontés à un terrorisme scientifique qui en a convaincu plus d’un de ne pas se lancer dans l’arène », explique Mathieu Molimard. « Encore aujourd’hui, très peu de personnes auraient accepté de signer cette tribune si elles avaient dû le faire en leur nom propre. Il a donc été nécessaire de le faire au nom des sociétés », précise-t-il. « Nous avions peur », déclare le pharmacologue, qui qualifie les pratiques de Didier Raoult et l’inaction des autorités de « scandale sanitaire et politique ».
« Certains d’entre nous ont été menacés de mort, d’autres intimidés. Qui a envie d’être jeté en pâture, d’être insulté publiquement, voire menacé par Didier Raoult et son entourage ? », interroge le pharmacologue.
« On est peut-être frileux », admet-il en rappelant le soutien de la classe politique dont a bénéficié Didier Raoult. « Je préfère rester dans le domaine scientifique, mais la visite du président Macron a certainement été perçue comme un signal fort : il ne fallait pas toucher à Raoult. »
Dès le 4 avril 2020, Mediapart a révélé les pratiques frauduleuses de Didier Raoult, en particulier sur les falsifications de ses études. (...)
Le président du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier, ainsi que le maire de Nice, Christian Estrosi, n’ont eu aussi de cesse de défendre « le plus grand chercheur ». (...)
Le professeur marseillais a également été encensé par le Rassemblement national (RN). Sur France Inter, Jordan Bardella, alors vice-président du parti d’extrême droite, n’a pas hésité à dire qu’« il est peut-être à la médecine ce que [le RN est] à la politique ». (...)
Didier Raoult a pu également compter sur la passivité des instances censées contrôler ses pratiques. En décembre 2021, après plusieurs plaintes déposées auprès du conseil départemental de l’ordre des médecins des Bouches-du-Rhône, notamment pour « charlatanisme », Didier Raoult n’écopera que d’un simple blâme pour avoir vanté l’hydroxychloroquine en l’absence de données scientifiques. Mais aucune sanction pour la mise en danger de patient·es.
Outre la complaisance de l’ordre des médecins, Didier Raoult a pu également compter sur l’immobilisme de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Il faut attendre la révélation de plusieurs essais sauvages pour que l’agence daigne réagir : elle saisit enfin la justice le 27 octobre 2021, sur la base de l’article 40 du Code de procédure pénale, considérant que certaines études menées par l’IHU n’ont pas respecté la législation encadrant les recherches impliquant la personne humaine.
Une énième étude aux biais méthodologiques grossiers (...)
Le traitement de l’IHU était-il illégal ?
L’hydroxychloroquine et l’azithromycine ont fait l’objet de milliers d’études cliniques dans le monde au début de la pandémie. Et, très rapidement, un consensus scientifique s’est dégagé : la prise de ces deux médicaments est associée à un sur-risque de mortalité. De nombreuses méta-analyses – qui compilent les résultats des études jugées les plus solides – concluent en ce sens (...)
Même Sanofi, le laboratoire qui commercialise l’hydroxychloroquine, a publié une large étude dans la revue Nature, qui alerte également en avril 2021 sur une surmortalité liée à la prise de ce médicament chez les patientes et patients atteints du Covid-19, ainsi qu’à une absence de bénéfice.
En France, dès le mois de mai 2020, le réseau des centres de pharmacovigilance français, qui reçoivent et analysent les signalements d’effets indésirables notifiés par des médecins ou des patient·es, ont repéré des effets secondaires cardiaques associés à l’hydroxychloroquine : en seulement un mois, 120 effets secondaires cardiaques. Huit morts soudaines ou inexpliquées ont également été déclarées.
À partir du 26 mai 2020, le gouvernement en interdit, par décret, la prescription en ville ou à l’hôpital pour les patient·es atteint·es de Covid-19.
Malgré cela, Didier Raoult et son équipe continuent de l’administrer. Or, le professeur n’a reçu aucune autorisation pour le faire dans le cadre d’un essai clinique. Pour se justifier, Didier Raoult explique qu’il considère cette recherche comme « observationnelle », sans qu’aucune intervention sur l’homme ne soit nécessaire. Or, c’est faux, parce qu’il a administré un médicament dont la nocivité a été démontrée dans le cadre de la prise en charge du Covid-19, et, par ailleurs, parce qu’il pratiquait des prélèvements (nasaux, rectaux) non prévus par les soins courants. Il s’agissait d’un essai médical interventionnel qui nécessitait une autorisation de l’ANSM et d’un comité de protection des personnes (CPP) indépendant. (...)
Ces pratiques sont « de nature à relever d’une qualification pénale », avaient déjà alerté, dans leur rapport rendu public en septembre 2022, les inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). (...)
« C’est à se demander si la justice a vraiment envie de faire la lumière sur les fraudes de Raoult et sur tous les patients qui ont été mis en danger par ces traitements », déplore auprès de Mediapart un chercheur de l’IHU, regrettant, par ailleurs, que des « proches de Raoult ayant participé à ces essais cliniques sauvages » soient « toujours en activité ».
Rien ne change à l’IHU ?
Au départ de Didier Raoult de la direction de l’IHU, c’est un candidat interne qui a été choisi pour lui succéder : Pierre-Édouard Fournier, jusque-là à la tête du laboratoire de l’institut.
Le directoire de l’IHU a été très peu remodelé. Philippe Parola, l’un des soutiens les plus virulents de Didier Raoult, y a perdu ses responsabilités mais reste chef de service. D’autres promoteurs de l’hydroxychloroquine y ont été promus, notamment le responsable de l’hôpital de jour, le professeur Matthieu Million. (...)