
Mardi 14 avril, Amazon a annoncé qu’elle fermait ses entrepôts en France pendant quatre jours, après que la justice lui ait ordonné de ne vendre que des produits de première nécessité. « C’est la première fois que ce mastodonte connaît un revers », dit la militante écologiste Alma Dufour, qui rappelle qu’« en pleine pandémie, la direction a augmenté les cadences ».
Depuis sa création, Amazon est hors-la-loi. Elle a bénéficié d’une impunité totale, à la fois fiscale, sociale et environnementale. Aujourd’hui, la décision du tribunal marque un tournant historique.
Il faut cependant rester vigilant. D’abord, parce que ce n’est qu’une suspension d’activité temporaire, et ensuite parce que c’est la justice qui a ordonné cette décision et non le gouvernement. Cela fait pourtant un mois que les salariés alertent sur les conditions sanitaires déplorables au sein des entrepôts et que les commerçants dénoncent la concurrence déloyale provoquée par Amazon. Le gouvernement n’a rien fait. Il préfère criminaliser les citoyens qui sortent un peu trop loin de chez eux que de toucher aux intérêts de ces multinationales et freiner ainsi l’activité économique.
Jeudi 17 avril, Amazon a aussi déclaré que cette décision ne l’empêcherait pas de livrer ses clients français via des entrepôts situés à l’étranger. En temps normal, l’entreprise livre déjà 30 % des marchandises en France via ses entrepôts en Espagne, au Royaume-Uni où en Allemagne. Là, ils vont juste augmenter la cadence. Pour nous, c’est une aberration écologique. On étend les distances de livraison et on déplace aussi le problème sanitaire. (...)
Amazon est une machine à vendre des produits inutiles. Elle pousse à la surconsommation. Les produits médicaux, sanitaires et alimentaires représentent moins de 10 % de son stock contrairement à ce qu’elle a affirmé dans les médias tout au long du confinement. Samedi 21 mars, la multinationale avait même annoncé vouloir concentrer « ses capacités disponibles sur les articles les plus prioritaires ». De nombreux médias ont relayé ces éléments de communication en croyant qu’Amazon allait restreindre ses activités aux besoins essentiels mais cela s’est révélé, en fait, complètement faux. Pendant la crise, les ventes de jeux vidéos ont augmenté de 200 %, les ventes pour la bureautique de 300 %. Le site de Sevrey (Saône-et-Loire), entièrement dédié au textile et à l’habillement, a aussi continué de tourner à plein régime.
En réalité, si Amazon souhaite aujourd’hui fermer ses sites plutôt que de limiter son activité, c’est pour une raison très simple : pour que l’État prenne en charge le chômage partiel de ses salariés, il faut que l’entreprise perde temporairement 70 % de son chiffre d’affaire. La multinationale voudrait que l’État et donc nous — avec nos impôts et nos cotisations — paye les conséquences de sa politique. Alors même qu’elle a grassement profité de la crise. (...)
Amazon comme les Gafa a un comportement prédateur. En soi, la distribution de produits, est pour elle, une activité à perte. Elle se rattrape sur d’autres sources de revenu comme le cloud [soit la vente de stockage en ligne]. Sa stratégie consiste d’abord à tuer la concurrence pour créer des monopoles. Elle pourra ensuite augmenter ses commissions. (...)
Tout son modèle repose sur la surproduction et une croissance infinie. C’est écrit noir sur blanc dans son rapport annuel (...)
une première bataille a été gagnée dans l’opinion, il y a comme une prise de conscience. Beaucoup de gens sont écœurés de voir Amazon profiter ainsi de l’épidémie, alors même que tous ses sites en France ont été contaminés par le Covid-19 et que l’on compte plusieurs de ses salariés à l’hôpital et même un en réanimation.
En un mois, Jeff Bezos, le patron de l’entreprise, a gagné 24 milliards de dollars. Il a vu sa fortune augmenter de 33 %. Le cour de l’action Amazon a atteint des records, il avoisine les 2.300 dollars et continue de grimper.
Pour nous, c’est inadmissible. En pleine pandémie, la direction a augmenté les cadences, elle a embauché des centaines de milliers d’intérimaires à travers le monde alors les entrepôts sont des foyers de contagion. Au lieu de prendre les mesures sanitaires appropriées, de réduire les effectifs pour respecter les gestes barrières, d’équiper les salariés en masques et en gels hydroalcooliques, la direction d’Amazon a a bondé les entrepôts d’employés précarisés pour répondre à l’afflux des commandes, elle a rendu impossible toute mesure de protection sanitaire effective.
En parallèle, Jeff Bezos a fait du « healthwashing » : il a promis qu’une partie de sa fortune irait à un fond pour lutter contre le Covid-19. (...)
La révolte des Gilets jaunes nous a aidés. Ce mouvement a montré, même si on le savait déjà, que les enjeux sociaux et environnementaux étaient intimement liés et qu’il fallait nous rapprocher. Il ne peut avoir de réponse à la crise climatique que sociale et égalitaire. Les syndicats ont aussi pris conscience de l’instabilité profonde du monde dans lequel on se trouve du fait de la crise climatique et qu’ils ne pourront protéger les salariés qu’en accompagnant la transition écologique des territoires.
La campagne d’Amazon est, en ce sens, symbolique. Plus Amazon surproduit et aggrave le changement climatique plus elle détruit de l’emploi. Ce discours commun nous a permis de faire des blocages d’entrepôts avec le soutien de syndicats d’Amazon. C’est complément inédit. (...)
Cette alliance accroît notre force et permet, à nous, associations écologistes, de mieux comprendre les réalités de terrain, ce que vivent les salariés au quotidien, etc. Ça ouvre des portes pour construire autre chose, ensemble.
Après l’épidémie et le confinement, quelles vont être les prochaines batailles ?
Clairement, la priorité est de stopper les neuf projets d’entrepôts supplémentaires qui risquent d’être construits en France entre 2020 et 2021. (...)
Nous devons donc multiplier les actions contre ces projets, sur le plan juridique, politique et aussi sur le terrain avec des mobilisations et de la désobéissance civile.