
Le dernier séminaire de Bernard Stiegler, qui eut lieu durant le confinement planétaire imposé par la pandémie de coronavirus, portait sur la question des chocs.
J’écris décédé pour ne pas écrire mort - et comme pour atténuer la violence extrême de ce mot, mort, sinon pour y ménager une sorte d’échappatoire, c’est-à-dire, aussi, une échappatoire à l’entropie. Car décédé dit autre chose, et dit plus que mort. (…) Que me décède - sinon me concède - le disparu qui est plus que mort ?
B. Stiegler, La technique et le temps t. 4 L’épreuve de la vérité dans l’ère post-véridique. (...)
Nietzsche nous dit en quelque sorte ceci : « J’attends le moment où vous rencontrerez vraiment le nihilisme. Maintenant je vous en parle et vous croyez que vous me comprenez. Mais en fait vous ne me comprenez pas du tout. Vous croyez que vous comprenez, mais vous ne comprenez pas parce que si vous compreniez, vous vivriez votre apocalypse ». Maintenant, nous sommes en train de vivre notre apocalypse. Et c’est maintenant que la question se pose de la capacité que nous avons à devenir la quasi-cause du rien, du nihil.
B. Stiegler, « Nous avons à devenir la quasi-cause du rien – du nihil », La Deleuziana. (...)
Le dernier séminaire de Bernard Stiegler, qui eut lieu durant le confinement planétaire imposé par la pandémie de coronavirus, portait sur la question des chocs. Il s’agissait pour Bernard Stiegler de répondre à un appel qui avait été lancé par un collectif de citoyens et d’associations, et qui insistait sur la nécessité de « retourner » la « stratégie du choc » que le virus avait déclenchée en une « déferlante de solidarité »2. Bernard Stiegler soutenait cet appel, mais il tentait aussi de le questionner, car il lui posait problème sur un point en particulier : ce qu’on appelle la « stratégie du choc » (d’après le titre du livre de Naomi Klein3) est en fait une traduction problématique de l’expression « shock doctrine » (titre original anglais de ce même livre4).
Bernard Stiegler insistait donc sur la nécessité de parler de « doctrine du choc », et non de « stratégie du choc » : il s’agissait pour lui de rappeler que le modèle ultralibéral décrit par Naomi Klein repose sur une doctrine, au sens d’une matrice conceptuelle, logique et théorique, notamment élaborée à travers les travaux de Friedrich Hayek et de Herbert Simon, eux-mêmes nourris de la théorie de l’information de Claude Shannon et de la théorie de la calculabilité de Alan Turing. C’est cette matrice théorique qui devait être critiquée, déconstruite et « refondée », pour dépasser ce que Bernard Stiegler décrit comme un « capitalisme intégralement computationnel5 ». Il soutenait ainsi qu’une « alter-stratégie du choc » ne pourrait devenir effective qu’à condition de reposer sur une « alter-doctrine du choc », qui remette en cause les conceptions de Friedrich Hayek et de Herbert Simon, et plus généralement, ce qu’il appelait les fondements de l’informatique théorique, qu’il jugeait problématiques. (...)