
Le rythme actuel de réchauffement pourrait déclencher plusieurs « points de bascule » planétaires : des changements abrupts et irréversibles du système climatique. Les chercheurs Aurélien Boutaud et Natacha Gondran nous expliquent pourquoi.
Est-il encore possible d’éviter une telle catastrophe ? Une étude publiée en septembre dans la prestigieuse revue Science apporte quelques éléments de réponse. Elle montre en particulier qu’une augmentation de température moyenne supérieure à 1,5°C pourrait suffire à déclencher plusieurs points de bascule conduisant à des changements abrupts et irréversibles du système climatique mondial.
Jusque-là assez peu présents dans les rapports du Giec, les points de bascule sont pourtant discutés depuis longtemps par les spécialistes des sciences du système Terre, en particulier dans le cadre des débats sur les limites planétaires – un certain nombre de variables comme le climat, la biodiversité ou encore les cycles biogéochimiques jugés déterminants pour l’équilibre de la biosphère.C’est ce que demandent de plus en plus de mouvements citoyens, qui appellent à une mobilisation comparable à celle que les États-Unis ont pu connaître au cours de la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi ce que certains économistes repentis et même le secrétaire général des Nations unies appellent désormais de leurs vœux. (...)
Pour comprendre cette notion de points de bascule, il faut rappeler que la plupart des systèmes complexes sont dotés de ce que les spécialistes appellent des boucles de rétroaction, c’est-à-dire des situations dans lesquelles l’évolution d’une variable agit sur une autre, qui agit en retour sur la première. Certaines de ces rétroactions sont dites négatives lorsqu’elles permettent au système d’absorber des perturbations. (...)
Mais il existe également des rétroactions positives, qui tendent au contraire à renforcer la perturbation initiale. Par exemple, la fonte du pergélisol entraîne le relargage dans l’atmosphère du méthane qu’il contient. Or ce méthane est un puissant gaz à effet de serre, qui va participer à renforcer le réchauffement. (...)
Or, les scientifiques montrent que plusieurs de ces rétroactions adviendraient avec un changement de température compris entre 1 et 2°C. C’est le cas de la fonte du pergélisol, évoquée précédemment. Mais c’est également le cas de la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental, qui aurait de nombreux effets induits sur le fonctionnement du climat : modification de la salinité et des courants océaniques, accroissement de l’absorption des rayonnements solaires par la surface terrestre, augmentation consécutive de la part d’infrarouges dans le bilan radiatif de l’atmosphère terrestre, etc.
Tout mettre en œuvre pour limiter cette hausse de température à 1,5°C
Les auteurs de l’étude parue dans Science en concluent qu’il faut à tout prix éviter de franchir ces seuils. Constatant que l’augmentation de la température moyenne mondiale de 1°C que nous avons déjà connue pourrait d’ores et déjà permettre le franchissement de certains points de bascule, ils proposent, faute de mieux, de tout mettre en œuvre pour limiter cette hausse de température à 1,5°C en fin de siècle. (...)
il ne suffit pas d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Il s’agit également d’aller vite, en réduisant de moitié les émissions mondiales de gaz à effet de serre au cours des dix prochaines années.
Pour mémoire, après trente ans de négociations internationales, ces mêmes émissions ont augmenté de plus de 50 %. Et la trajectoire des engagements actuels des différents pays nous mène vers un réchauffement de près de 3°C d’ici 2100.
Couveture du livre " Les limites planétaires"
Les limites planétaires, Aurélien Boutaud et Natacha Gondran, La Découverte, 2020.
L’étude parue dans Science en septembre 2022 ne fait, de ce point de vue, que confirmer une certitude : les politiques menées jusqu’à présent, fondées en grande partie sur des hypothèses économiques hors-sol, nous ont menés à deux doigts du précipice. Notre dernière chance d’éviter l’effondrement consiste à sortir de cette idéologie suicidaire pour mener enfin une politique volontariste à la hauteur du péril. (...)
C’est ce que demandent de plus en plus de mouvements citoyens, qui appellent à une mobilisation comparable à celle que les États-Unis ont pu connaître au cours de la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi ce que certains économistes repentis et même le secrétaire général des Nations unies appellent désormais de leurs vœux. (...)