Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
France24
Narendra Modi, invité d’honneur du 14-Juillet : l’Inde illibérale devenue incontournable ?
#Inde #illiberalisme #extremedroite #Macron #armes
Article mis en ligne le 13 juillet 2023

Le Premier ministre indien est l’invité d’honneur de ce 14-Juillet à Paris. Devenue cinquième économie mondiale, l’Inde de Narendra Modi a aussi opéré un virage illibéral. La visite du Premier ministre soulève autant de questions stratégiques que de problématiques liées aux valeurs démocratiques.

Ambitieux objectifs franco-indiens

Cette année marque le 25e anniversaire du partenariat stratégique franco-indien, selon le communiqué conjoint des deux pays.

"La visite du Premier ministre sera en outre l’occasion d’engager une nouvelle phase du partenariat stratégique entre la France et l’Inde, en fixant de nouveaux objectifs ambitieux pour les coopérations stratégique, culturelle, scientifique, universitaire et économique, y compris dans un grand nombre de secteurs industriels", ajoute le communiqué.

Des intentions déjà concrétisées au Salon du Bourget : en passant au constructeur Airbus une commande de 500 avions A320, la compagnie indienne Indigo signait, le 19 juin, le plus gros contrat de toute l’histoire de l’aviation commerciale.

Mais c’est une histoire d’armes qui est au cœur de la romance franco-indienne : l’Inde est devenue le pays qui en importe le plus sur la planète, et la France n’est autre que son deuxième pourvoyeur.

Au sein de l’armée indienne, les avions de combat conçus par Dassault ont le vent en poupe. En 2016, le constructeur français vendait 36 Rafales, pour 8 milliards d’euros.

Selon la presse indienne, New Delhi envisage un accord en vue d’une nouvelle commande de 26 Rafale Marine au géant français de l’aéronautique. Il pourrait être annoncé à l’occasion de la visite de Narendra Modi à Paris.
L’Inde à l’aune de la guerre en Ukraine

Ce dernier recevait, quelques semaines avant les accolades d’Emmanuel Macron, celles du président américain. Depuis le début de la présidence Biden, Narendra Modi est le troisième dirigeant à effectuer une visite officielle aux États-Unis.

Il s’est également vu accorder un second discours devant une session conjointe du Congrès, un privilège offert à des personnalités comme Winston Churchill et Nelson Mandela.

L’Amérique tendait la main à un pays qui s’est hissé au rang de cinquième économie mondiale, Joe Biden se félicitant d’une relation "plus forte, plus étroite, plus dynamique que jamais".

À l’aune de la guerre en Ukraine, pour Américains et Européens, une relation effectivement plus étroite avec le géant indien serait la bienvenue. Car dans leur combat politique, économique et stratégique contre l’invasion russe de l’Ukraine, les capitales occidentales peinent à rallier l’ensemble de la communauté internationale. (...)

Les États qui, au nom du "non-alignement", refusent de soutenir l’Ukraine, sont les ennemis de la paix mondiale, s’indignait l’an dernier Emmanuel Macron depuis l’Assemblée générale des Nations unies.

Mais l’Inde, dont il reçoit pourtant le Premier ministre, s’est systématiquement gardée de condamner l’invasion russe, rappelle Jean-Luc Racine.

Contournant les sanctions occidentales contre Moscou, New Delhi en a même tiré grandement profit. Saisissant l’aubaine d’un baril russe à prix "cassé", l’économie indienne a décuplé sa demande de pétrole made in Russia. Elle est aujourd’hui la deuxième importatrice de brut russe au monde.
"L’Inde a peur de la Chine"

Par ailleurs, la Russie demeure le premier fournisseur d’armes de l’Inde. La diplomatie française, elle, tente d’atténuer cette proximité russo-indienne. (...)

Comme les Américains, les Français misent sur l’Inde, en espérant que celle-ci fasse contrepoids à la puissance chinoise. "Pourtant, rien n’est moins sûr", nuance Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CERI-Sciences Po et au CNRS. Car "en position de faiblesse à plusieurs niveaux, l’Inde a peur de la Chine, au point qu’elle n’est pas prête de s’opposer à elle".

Territorialement grignotée par la Chine sur sa frontière himalayenne, l’Inde est, par ailleurs, entourée désormais de pays entrés dans le giron chinois : Birmanie, Pakistan, Sri Lanka, Bangladesh, Népal, Iran.

"Sur le plan économique, la dépendance indienne est considérable", ajoute Christophe Jaffrelot : "des secteurs entiers de l’économie ne pourraient pas fonctionner sans l’approvisionnement chinois. Le déficit commercial indien vis-à-vis de la Chine est d’ailleurs abyssal". (...)

Faire comme si l’Inde était démocratique

À la visite de Narendra Modi, Christophe Jaffrelot oppose aussi des arguments moraux. "Les valeurs de la Révolution française, que symbolise le 14-Juillet, dénotent avec le personnage invité". Pis : "Permettre à un leader de plus en plus autoritaire d’y participer lui permet d’en tirer parti pour accroître sa popularité".

La Constitution dont s’est dotée l’Inde en 1947 a mis en place une république fédérale et parlementaire, inspirée des institutions de la puissance coloniale britannique. Multiconfessionnel et séculier, cet immense pays fut souvent considéré comme la plus grande démocratie du monde.

Mais l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014 a terni cette vitrine. Ce dernier a réalisé son ascension politique au sein du BJP, un parti de droite qui lie l’identité indienne à l’hindouisme, religion de 80 % des Indiens.

Instrumentalisation de la justice, révisionnisme, complicités face à la persécution des minorités, recul de la liberté d’expression : de l’avis d’observateurs indiens et internationaux indépendants, l’Inde vit une profonde régression démocratique sous la houlette de Modi.

"La France et l’Inde sont liées par un attachement partagé à la démocratie", lit-on sur le site du Quai d’Orsay.

"Paris continue de faire comme si l’Inde était la plus grande démocratie du monde – même si l’on n’y croit pas – pour légitimer la profondeur de la relation que nous tissons avec elle", commente Christophe Jaffrelot.

Or, vendre du matériel militaire ultrasophistiqué à un État crée des liens très forts, sur plusieurs décennies, poursuit le politologue. Les contrats d’armement, qu’ils soient déjà passés ou à venir, mériteraient selon lui un débat public.
Les sbires de Modi

Parmi ces concitoyens, Narendra Modi suscite d’immenses clivages jusque dans la diaspora. (...)

Point de non-retour autocratique ? (...)

"Si le virage illibéral de la décennie Modi a été très rapide, le point de non-retour autocratique n’est peut-être pas encore atteint", observe Christophe Jaffrelot.

Au printemps 2024, des centaines de millions d’Indiens seront appelés aux urnes. Avant de dérouler le tapis rouge à Narendra Modi, c’est ce rendez-vous historique que l’Élysée aurait dû attendre, conclut le chercheur : "Ces élections révéleront si l’alternance est encore possible, et si une alternance peut changer la donne".