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le Monde Diplomatique
Naissance de l’économie de spéculation
Article mis en ligne le 1er janvier 2018

L’assujettissement de l’économie au pouvoir des banques procède de choix politiques intervenus dans les années 1980. En France, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, les gouvernements ont alors décidé de déréguler les activités financières. Favorisant ainsi l’apparition de bulles spéculatives qui peuvent éclater à tout moment…

En 1962, le secteur financier représentait environ 16 % des profits de l’économie américaine ; le secteur manufacturier, près de 49 %. Quarante ans plus tard, la part de la finance atteint plus de 43 %, celle de l’industrie moins de 8 %. Depuis une trentaine d’années, un basculement similaire s’est opéré dans la plupart des pays : c’est la « financiarisation ».

Rendu possible par la mise en œuvre de politiques néolibérales (lire p. 150), ce processus découle en grande partie de décisions politiques visant à déréguler l’économie. (...)

En France, le ministre socialiste de l’économie et des finances Pierre Bérégovoy fait voter la loi de déréglementation des marchés financiers en 1986, avant de réduire la fiscalité sur les revenus du capital en 1990. Aux Etats-Unis, en 1999, l’administration Clinton abroge le Glass-Steagall Act qui, depuis 1933, imposait une séparation entre activités bancaires de dépôt et d’affaires.

La financiarisation transforme les systèmes mondiaux de la production (la façon dont les biens et les services sont produits) et du crédit (la façon dont l’argent irrigue l’économie). Ce faisant, elle expose les Etats aux stratégies de délocalisation et aux risques systémiques. Alors que le monde de la finance n’avait pas connu de crise systémique internationale depuis les années 1930, il en subit trois majeures en trente ans (...)

La « dictature des 15 % »
Tandis que la plupart des multinationales passent sous le contrôle d’institutions financières privées ayant pris des participations dans leur capital coté en Bourse, l’économie change d’objectif : pour une grande entreprise, il s’agit moins d’accroître les ventes que de privilégier la rentabilité financière, c’est-à-dire les profits. Les actionnaires majoritaires ont désormais le pouvoir de dicter le taux de rendement a priori : c’est la « dictature des 15 % de retour sur fonds propres » des années 1990 et 2000.

Résultat (à moins qu’il ne s’agisse de l’objectif de départ, comme le soutiennent, entre autres, les économistes Gérard Duménil et Dominique Lévy) : une forte croissance des revenus financiers et une baisse de la part des salaires dans la richesse produite. La mondialisation a bénéficié aux 10 % les plus riches de la planète et aux classes moyennes des pays émergents comme la Chine (qui ont profité des délocalisations), mais a été négative pour les 10 % les plus pauvres et les classes moyennes des pays industrialisés, dont les revenus (corrigés de l’inflation) ont stagné. (...)

Une chaîne internationale de risques opaques.
Sous prétexte de démultiplier l’accès aux liquidités, diverses innovations financières ont permis aux banques de transférer les risques liés aux crédits – en particulier les non-remboursements d’emprunts – à de nouveaux acteurs financiers (banques d’investissement, fonds spéculatifs, etc.). Il en a découlé une économie de bulles spéculatives et une chaîne internationale de risques opaques, associant les banques aux autres acteurs financiers. Jusqu’à ce que ces « innovations » – comme les subprime américains – se révèlent « toxiques », entraînant une défiance généralisée envers l’ensemble du système du crédit et débouchant sur la paralysie du marché interbancaire, la faillite de la banque Lehman Brothers et le cataclysme financier d’octobre 2008.

Après trois décennies d’idéologie néolibérale prônant le retrait de l’Etat au profit de la finance, cette dernière appelle alors les Etats à la rescousse.

Dans l’urgence et sans contrepartie, ces derniers mettent sur pied de gigantesques plans de sauvetage bancaire. D’où une conversion de dettes privées en dettes publiques qui provoque une récession mondiale et une crise des dettes souveraines, entraînant dans la zone euro une succession de plans d’austérité qui finissent par transformer la crise bancaire en crise sociale.