
Ce texte est une version un peu plus longue et accompagnée de photos du texte que j’ai lu lors des funérailles de mon père, ce lundi 28 septembre 2015. Ses instructions à ma mère étaient claires et à son image : "Quand je serai mort, tu me fais brûler et tu jettes mes cendres dans le jardin". On a beau ne pas être conventionnel.le.s dans ma famille ; ça nous semblait indélicat de ne prévenir personne et de ne pas offrir aux gens qui l’ont connu une occasion de lui dire au revoir. Nous avons donc fait une cérémonie minimaliste, et qui je pense aurait été à son gout -d’autant plus qu’on a choisi de faire rentrer son cercueil au son de Johnny B. Goode de Chuck Berry ! J’ai contourné son refus de "grand discours larmoyant ou de résumé de sa vie", en parlant de notre relation. J’ai un peu pleuré mais presque pas, conformément aux instructions.
Je vais donc vous parler de comment j’ai appris à comprendre mon père et cette histoire se déroule en trois parties.
PART 1 : MON PÈRE, CE HÉROS
Bien avant Brangelina, Madonna et toutes les stars hollywoodiennes qui ont cédé à la mode des familles « arc-en-ciel » ; Néné le Bourru, de son petit nom au boulot ; Capitaine Haddock pour mes copains du lycée, a adopté deux enfants noirs. À la campagne lyonnaise, dans la fin des années 70, début des années 80, c’était comment vous dire… pas commun ! Surtout pour quelqu’un qui aimait entretenir son image d’homme bougon, un peu rustre. Si vous avez connu mon père, vous savez qu’il était le roi de la mauvaise prononciation des mots. Plus jeune, je pensais qu’il ne retenait rien et ça m’énervait. En vieillissant, j’ai compris qu’il le faisait exprès et que c’était sa façon de montrer qu’il se foutait des conventions. D’ailleurs, qui que vous soyez, le traitement que le René vous réserverait serait le même. Et si ce n’était pas un bon jour, je peux vous assurer que vous alliez être bien reçus !
Mais pour en revenir à la phase idyllique de notre relation, je dirai que comme Maman vous l’a raconté, dans ma petite enfance, quasiment jusqu’au collège, mon père était mon meilleur pote. (...) Déjà parce que bien avant que les « nouveaux papa » soient à la mode. Comprenez, les pères qui s’occupent de leurs enfants. René s’occupait de nous. (...)
Papa était tellement en avance sur son temps que je croyais, une fois arrivée à l’université, que tous les hommes participaient aux tâches ménagères… Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que j’avais grandit dans une famille à part, où garçon et fille, mari et femme faisaient tout. (Ou presque, papa a été bannit du repassage car il était vraiment trop mauvais.)
Bref, mon père aimait tellement jouer les rustres que même moi à un moment de ma vie, j’avais oublié à quel point il était plus complexe et subtil que son image de mec bougon.
PART 2 : LA GUERRE EST DÉCLARÉE
Cette première phase pleine de joie et d’amour a été suivie d’une phase à l’extrême opposé du spectre émotionnel qui a été d’autant plus problématique que si l’on se souvient peu de la période entre ses 0 et ses 5/6 ans ; on se souvient très bien de son adolescence. Je m’appesantirai le moins possible sur cette période car elle était moche. Elle a coïncidé avec la maladie de ma grand-mère et un changement brutal de la personnalité de mon père. Il était devenu si taciturne et parfois carrément méchant que j’en étais même venue à douter de son amour pour nous, ses enfants. Car c’est une autre des singularités de mon père : s’il pouvait être insupportable, y compris avec maman, c’était quand même avec elle qu’il ne dépassait jamais les limites. Papa a toujours été, sans aucune équivoque possible, absolument amoureux de maman. (...)
quand je dis à cette dame : « Non, non, j’ai toujours vécu ici, je suis la fille de René, le cantonnier ». Elle me répond : « Oh mais c’est vous qui êtes basketteuse de haut niveau et qui faites Polytechnique ?!!! ». Je réponds que je suis à Sciences-Po, mais connaissant papa, y’avait Po dans Polytechnique et c’était aussi une grande école donc c’était pareil. Et elle continue : « Votre papa parle de vous tout le temps, qu’est-ce qu’il est fier de sa fille ». J’étais restée bouche bée, car à cette époque, nous nous parlions à peine et j’étais encore relativement persuadée qu’il ne me supportait pas, quand apparemment, il claironnait dans tous le village que j’étais la 8ème merveille du monde. (...)
Je vais la faire courte, car il a encore fallu quelques années pour qu’on se parle au téléphone, même quand maman n’était pas là. Quelques psys pour que j’accepte que je ne le sauverai pas. Et surtout pour que je prenne conscience qu’il avait fait de son mieux. Il n’était pas l’enfant chéri de ses parents. Sa vie n’a vraiment pas été un long fleuve tranquille. C’est donc très dur de donner ce que l’on n’a pas reçu. J’ai enfin compris que celui qui souffrait le plus de ne pas savoir nous aimer, c’était lui. (...)
J’ai travaillé comme modèle vivant, j’ai été effeuilleuse burlesque, j’ai vécu à Londres, Melbourne, Paris, je me suis endettée, je suis militante Afro-féministe, pansexuelle, et surtout je n’ai jamais pris la peine de cacher quoi que ce soit à mes parents. Mon frère et Kévin aussi ont tout fait, TOUT, tout ce qui peut rendre des parents dingues et ils ont toujours été à nos cotés. (...)