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Migrants : Pour un droit d’hospitalité universel
Article mis en ligne le 23 mai 2018

Au Festival Etonnants Voyageurs, l’Appel de St Malo lancé par la juriste Mireille Delmas-Marty avec les écrivains Patrick Chamoiseau et Michel Le Bris, pousse à inscrire le principe d’hospitalité dans le droit international

C’est une première à Etonnants voyageurs : des militants du Front National agitant des drapeaux tricolores ce dimanche devant l’entrée du Palais du Grand Large qui abrite les débats du festival littéraire… Signe que la manifestation ouverte sur le monde était, cette année plus que jamais, axée sur l’actualité chaude des fractures de nos sociétés en mutation. À l’après-midi consacrée aux migrants et intitulée « Frères humains », était invité Cédric Herrou, le jeune paysan militant de la vallée de la Roya qui recueille des migrants dans sa ferme, non loin de la frontière italienne. C’est lui qui a déclenché l’ire des frontistes locaux, emmenés par leur conseiller régional et brandissant une banderole sur laquelle on pouvait lire : « Herrou, délinquant immigrationniste, dehors ! », allusion au fameux « délit de solidarité » qui a conduit depuis trois ans le militant des Alpes maritimes à ferrailler avec les tribunaux français.

Calme olympien, humour inoxydable, Cedric Herrou a rappelé qu’il avait lui aussi des drapeaux tricolores dans sa maison ouverte aux migrants, au nom de la fraternité incluse dans la devise républicaine, gravée au fronton des mairies. Très applaudi par les festivaliers (qui comptaient de nombreux sympathisants et membres des associations d’aide tels que la Cimade, le Gisti ou le Secours Catholique), le jeune paysan de la Roya a expliqué que ses gestes d’accueil lui ont été dictés par son éducation – « Durant toute ma jeunesse, j’ai vu ma mère assistante maternelle élever à la maison des enfants de l’aide sociale, une trentaine au moins. J’ouvre donc ma porte aux migrants, sans quoi ma mère me taperait sur les doigts ! »

Les camps de rue, insoutenable réalité
Il était flagrant pour cette édition, que les organisateurs du festival avaient tenu à mêler aux écrivains et cinéastes des témoins et acteurs de terrain. Ainsi, l’après-midi s’est ouverte par la lecture d’un long poème déchirant – « Je suis une malédiction » – écrit et lu sur scène par le Soudanais Hassan Yacine, arrivé en France en 2016, qui s’est vu inexplicablement débouter du droit d’asile (il est en danger dans son pays). (...)

le pays n’est pas en train d’affronter « une prétendue crise des migrants », mais une grave crise de société, avec une incapacité à faire évoluer son logiciel interne pour s’adapter à la mondialisation en cours. (...)

Patrick Chamoiseau a insisté : « Il faut que les écrivains et artistes comprennent eux aussi que le monde à construire n’est pas une affaire d’expertise, mais une affaire humaine ».

Plus que jamais, éthique et esthétique sont étroitement mêlées.(...)

Pour une COP 21 des migrations
Enfin et surtout, le festival a rappelé que la littérature et l’action se nourrissent l’une de l’autre. La juriste Mireille Delmas-Marty s’est depuis longtemps abreuvée aux textes de l’écrivain Edouard Glissant pour arriver à penser une « mondialité apaisée ». On a ici l’alliance efficace « du souffle du poète et de la précision du juriste ». Devant un public attentif, Mireille Delmas-Marty a d’abord avoué en toute simplicité qu’elle avait « honte en tant que juriste dans un Etat qui se dit de droit » de la situation actuelle faite aux migrants, du désastre humanitaire en cours. Elle cherche des pistes possibles à l’intérieur du droit national – « mettons-le au défi de nous apporter une réponse à travers le principe de fraternité ».

Mais compte tenu du fait que les migrations sont un problème mondial, la juriste est aussi allée chercher chez Kant la notion d’hospitalité universelle (...)

« En décembre 2018, on va fêter les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est l’occasion de reconnaître alors ce principe d’hospitalité, qui pourrait devenir opposable aux Etats. Parallèlement, il va s’agir alors de pousser à une réorganisation de la gouvernance mondiale qui partirait des citoyens et des scientifiques (démographes, anthropologues qui peuvent devenir lanceurs d’alerte et veilleurs), mais intéresserait aussi les grandes villes du monde ou les grandes entreprises, à l’exemple de ce qui s’est passé avec la COP 21 pour lutter contre le réchauffement climatique ». Avec Mireille Delmas-Marty et Michel Le Bris, Patrick Chamoiseau a donc lancé solennellement en ce sens « L’Appel de Saint-Malo », puisque « comme pour le climat, l’interdépendance appelle un devoir de solidarité ». Propositions concrètes et élaborées, calendrier et marche à suivre : Etonnants Voyageurs, qui a toujours été un lieu d’interrogation sur le devenir du monde, de vigilance et de conscientisation, franchit une nouvelle étape, digne d’être suivie avec la plus grande attention.