À l’occasion de la Journée internationale des personnes migrantes, Migreurop est signataire avec plus de 40 organisations de toute l’Europe, d’un communiqué pour appeler les États membres et les institutions européennes à adopter une approche juste, digne et antiraciste de la gouvernance migratoire en Europe.
(...) à l’occasion de la Journée internationale des migrant·e·s, nous rendons hommage aux innombrables personnes qui se déplacent – à travers les frontières, les villes et les continents – à la recherche de sécurité, d’opportunités, de famille et de liberté. La migration n’est ni une exception, ni un problème, ni une urgence, et ne devrait pas être catégorisée comme telle. Elle constitue une part fondamentale et durable de ce que signifie être humain·e. Historiquement, les personnes ont toujours migré et continuent de le faire pour d’innombrables raisons – pour étudier, travailler, prendre soin de leurs proches, fuir la violence ou les inégalités, ou simplement construire une vie meilleure. Pourtant, à travers l’Europe, cette réalité humaine fondamentale continue d’être déformée afin de justifier des politiques racistes et inhumaines, au sein de systèmes répressifs de contrôle.
Nous condamnons tout choix politique des pays et des institutions européennes ayant conduit à la mort, à la misère et aux souffrances infligées aux personnes migrantes en Europe et à ses frontières. Mais aujourd’hui, nous célébrons aussi celles et ceux qui traversent les frontières pour diverses raisons – en particulier les personnes racisées et marginalisées, dont les vies, le travail et les contributions soutiennent nos sociétés, alors même qu’elles sont systématiquement exclues, criminalisées et déshumanisées par les institutions et les communautés qui dépendent pourtant de leurs savoirs, de leur travail et de leur capital humain.
Aujourd’hui, nous reconnaissons celles et ceux qui avancent dans leurs parcours avec espoir, résilience et un sentiment de connexion au-delà des frontières. Dans ces parcours, nous ne voyons pas une crise, mais une possibilité ; pas une menace, mais le cœur battant d’une humanité partagée, enracinée dans la vie, la dignité et l’appartenance. Leur présence est un témoignage de persévérance ; elle est aussi un appel à la justice – un rappel adressé à l’Europe pour qu’elle honore enfin et défende leurs droits comme étape fondamentale vers la construction d’une société plus juste et plus équitable pour toutes et tous.
La gouvernance migratoire comme nouveau visage du racisme en Europe
Ces dernières années, une logique politique dangereuse s’est renforcée à travers l’Europe. Dans un corpus législatif de plus en plus vaste – du Pacte sur la migration et l’asile à la réforme du Code frontières Schengen, et désormais les propositions de règlement sur les expulsions et de directive sur la facilitation – la migration (en particulier celle des personnes racisées originaires du Sud global) est de plus en plus présentée comme une menace sécuritaire à contrôler, plutôt que comme un aspect naturel et durable de la vie humaine. Cette approche sécuritaire s’est accélérée parallèlement à la montée de forces autoritaires en Europe, renforçant des politiques qui criminalisent la mobilité et sapent les droits fondamentaux.
À travers l’Europe, les mêmes schémas se répètent : interceptions à grande échelle, refoulements violents, détention de masse et expulsions dans de nombreux pays européens ; criminalisation des personnes sans papiers ou en situation administrative irrégulière ; renforcement des contrôles aux frontières et du profilage racial aux frontières internes.
Les travailleuses et travailleurs migrant·e·s – dont beaucoup sont racisés – travaillent dans les champs agricoles dans des conditions qui s’apparentent à une servitude moderne, soutenant des systèmes alimentaires entiers tout en vivant sous l’exploitation, dans des logements insalubres, sans accès aux soins de santé et dans une précarité chronique ; des descentes dans les domiciles et sur les lieux de travail ciblent les personnes migrantes ; et une stigmatisation continue se déploie dans les médias et les discours publics.
Tout cela est renforcé par des infrastructures juridiques et politiques qui ne se contentent pas de « gouverner » la migration, mais produisent activement l’irrégularité : régimes de visas restrictifs, règles d’emploi qui lient les personnes à des employeurs exploitants, retards bureaucratiques interminables, et voies d’accès au séjour si étroites que la perte de statut devient presque inévitable. Dans ce système, l’irrégularité et la précarité ne sont pas des accidents : elles sont le résultat prévisible de politiques conçues pour maintenir certaines personnes vulnérables, expulsables et facilement exploitables. C’est au sein de cette machinerie que persistent des hiérarchies coloniales et racialisées de la mobilité, déterminant qui peut se déplacer librement et qui ne le peut pas ; qui a accès à la protection sociale et à l’assistance ; qui peut accéder à l’emploi, au logement et à l’éducation ; et qui est autorisé à construire une vie au sein des sociétés européennes.
Ces dynamiques ne se limitent pas aux demandeur·euses d’asile ou aux réfugié·es. Elles façonnent aussi les expériences des étudiant·es, des travailleur·euses – y compris du secteur du care –, des travailleur·euses saisonnier·ères et des familles. Ce faisant, la racialisation transforme la migration en privilège pour certain·es et en source de précarité et de dépossession pour d’autres.
Mais rien de tout cela n’est nouveau. La racialisation et la criminalisation de la mobilité de certains groupes trouvent leurs racines dans des siècles de pratiques coloniales et d’exploitation du travail. Cependant, les personnes migrantes et leurs allié·es ne se taisent pas : à travers l’Europe, les mouvements de solidarité se développent, tandis que les communautés continuent de s’organiser, de résister et de construire des réseaux de care malgré la répression.
Le coût de l’Europe forteresse
Au lieu d’investir dans les systèmes sociaux, les gouvernements européens consacrent des milliards d’euros de fonds publics aux guerres, à la militarisation des frontières, aux technologies de surveillance, aux centres de détention, aux mécanismes d’expulsion et à des entreprises privées qui profitent de l’exclusion des personnes – tout en désignant les migrant·es comme responsables de l’effondrement social et économique provoqué par leurs propres politiques.
Les rapports montrent que les politiques de sécuritisation n’apportent pas de sécurité ; au contraire, elles produisent la mort, la peur, la vulnérabilité et l’instabilité. Elles forcent les personnes à se déplacer, quels que soient leurs motifs, vers l’irrégularité, l’exploitation et le danger. Elles divisent les communautés, renforcent les hiérarchies racialisées, délégitiment davantage la promesse de l’État de droit et érodent le droit de vivre dans la dignité pour toutes et tous.
Revendiquer la migration : notre vision pour une Europe juste et solidaire
La migration n’est pas un problème à résoudre par une sécuritisation et une criminalisation accrues, mais une réalité humaine qui exige des systèmes solides de protection sociale, un soutien institutionnel réel et un engagement politique durable pour démanteler le racisme structurel profondément enraciné dans les cadres juridiques, sociaux et économiques qui façonnent les vies.
En tant que personnes migrantes et en tant qu’Européen·nes, nous appelons à une Europe qui reconnaît la mobilité humaine comme un atout social, culturel et économique, et qui démantèle les systèmes criminalisant et racialisant la migration. Nous exigeons des politiques fondées sur l’antiracisme, le care, l’égalité, l’équité et la justice – des politiques qui respectent la dignité et les droits de toutes et tous.
Nous imaginons donc une Europe qui :
- Met fin à la criminalisation de toutes les personnes migrantes – quel que soit leur statut, leur parcours ou leur raison de migrer –, démantèle les systèmes qui produisent l’irrégularité, la précarité et l’expulsabilité, et garantit la reddition de comptes pour les violations et abus des droits humains.
- Réoriente les ressources publiques, en les détournant de la militarisation des frontières et des politiques migratoires punitives, pour les investir dans le renforcement des infrastructures sociales telles que le logement abordable, la santé universelle, l’éducation et les systèmes de soutien communautaires.
- Garantit un séjour sécurisé, des conditions de travail justes et sûres, ainsi qu’un accès plein et égal aux droits pour toutes les personnes vivant en Europe, en reconnaissant la mobilité comme une source de vitalité sociale, culturelle et économique.
- Assure la participation réelle et durable des personnes migrantes et des communautés racisées à l’élaboration des politiques et des décisions qui affectent leurs vies, notamment par des mécanismes démocratiques, accessibles et transparents de consultation et de gouvernance.
- Affronte et répare le passé colonial de l’Europe et ses héritages persistants, en reconnaissant la manière dont les structures de pouvoir racialisées, historiques et actuelles, façonnent les inégalités mondiales et les dynamiques de mobilité.
- Reconnaît la mobilité humaine comme une responsabilité mondiale partagée, enracinée dans les conditions structurelles, économiques et géopolitiques – ainsi que dans les politiques et pressions internationales – qui contraignent des millions de personnes à se déplacer, et élargit les possibilités régulières et sûres de migration.
- Met en œuvre les normes énoncées dans les Observations générales conjointes de l’ONU sur la xénophobie et les droits des travailleur·euses migrant·es, en veillant à ce que les lois, politiques et institutions européennes préviennent activement la discrimination, la xénophobie et le racisme, et garantissent la pleine protection des droits humains telle qu’affirmée par le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) et le Comité des Nations unies pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (CMW).
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