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Melilla, le lieu d’un massacre – Lettre ouverte aux députés européens
/ Signataires : J’accueille l’étranger (JALE) Marie Cosnay Mireille Grubert Jane Sautière
Article mis en ligne le 9 juillet 2022

Le vendredi 24 juin 2022, à peu près deux mille personnes, depuis des jours et des jours harcelées dans les forêts autour de Gourougou par la police et la gendarmerie marocaines, ont décidé de s’organiser pour « frapper » la barrière.
Ce n’est pas une chose nouvelle.
Depuis qu’il y a des barrières, il y a des gens pour les « frapper », c’est à dire pour les franchir.
Avec ce qu’il faut pour s’accrocher et passer de l’autre côté.
Sans l’aide de « mafias », comme on l’a suggéré ici et là, comme si cela dédouanait de toute culpabilité les Etats.
Cherchant sa vie et ses droits, celui notamment de fuir un territoire non protecteur ou en guerre et de demander l’asile.

(...)« Nous avons passé un cap. Le massacre est sous nos yeux. Les morts s’amoncèlent. Et il semble que ça ne compte pas. » Après les exactions de Melilla, le collectif « J’accueille l’étranger » interpelle les député·es européen·nes avec force : « Prononcez-vous fermement pour une toute autre politique d’immigration » ! (...)

La convention de Genève, qu’en France la campagne électorale a attaquée aussi, semble bien loin.
Personne n’est en guerre contre l’Europe à la frontière sud. Le Sahel souffre de crises diverses, provoquées par la sécheresse et les changements climatiques dévastateurs. Mais le Sahel n’est pas en guerre contre l’Espagne, ni contre l’Europe.
L’Union Européenne, avec l’aide des pays tiers, protège ses frontières.
Que ce désir de protection-là soit une fuite en avant sans imagination et sans avenir, cela a été parfaitement argumenté.
Que l’Union Européenne soumette les pays européens à la volonté ou au caprice des pays tiers dont elle fait ses gendarmes, cela connaît des précédents.
(...)

Comment accepter, les yeux ouverts, la mort brutale et organisée de jeunes gens qui sont des frères, des pères, des fils, de jeunes gens qui sont aimés et attendus par des pères et des mères, des frères et des soeurs, des fils et des filles ?
Nous avons passé un cap.
Le massacre est sous nos yeux.
Les morts s’amoncèlent.
Et il semble que ça ne compte pas. (...)

Que le prix de ce désir de protection, sans imagination, sans avenir, dangereux et contreproductif, soit l’acceptation de milliers de morts, oubliés chaque année dans les déserts, au fond des mers et de l’océan, cela a été largement documenté.
Hélas, pas assez, et pour cause : il s’agit justement de disparitions.
Nous, citoyens européens, qui accueillons quand l’Etat et/ou les départements ne le font pas, nous qui connaissons les jeunes qui viennent ici chercher leur vie, poussés par un élan qui ne s’analyse pas mais qui est celui de la survie, nous qui avons vu l’Europe changer, criminaliser de plus en plus l’immigration et empêcher l’asile, contrôler ses frontières extérieures puis ses frontières intérieures, créer des hot-spot, externaliser le contrôle, agir en complicité avec les garde côtes libyens, refuser des ports aux bateaux chargés de rescapés, durcir les conditions de régularisation sur les territoires européens, nous gardions un espoir.
(...)

En France, l’événement majeur est un entrefilet dans la revue de presse internationale, cinq jours après.
En France, qui est partie prenante du massacre, puisque plus haut, à sa frontière, les policiers et gendarmes empêchent tout accès à son territoire, ce qui a provoqué, en un an, la mort de neuf jeunes gens, tous pour toujours pleurés par leurs pères, (...)

Les collectifs que nous sommes s’étranglent de colère et de chagrin impuissant. (...)

Pour quelle raison les militaires et les policiers marocains ont-ils filmé les violences déshumanisantes, jusqu’au meurtre, dont ils se sont rendus coupables ?
Cette question sans réponse jusque là, à peine posée, mériterait une enquête, elle aussi.
Une image est destinée.
À qui ? Et à quoi ?
(...)

La banalité du mal hélas n’est pas réservée à un temps et un lieu.
Mais de fait, sur la route migratoire, qu’on meure invisibles ou très visibles, on meurt toujours en silence - on disparaît.
Et on meurt instrumentalisés. (...)

Il en est peut-être encore temps : lisez les nombreuses analyses que les spécialistes des circulations ont proposées, prononcez-vous fermement pour une toute autre politique d’immigration, grâce à laquelle des continents pourront à l’avenir se respecter, engagez-vous à faire preuve d’inventivité et d’imagination, loin de toutes les idéologies de la peur qui ont, hélas, en Europe, le vent en poupe. (...)