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Marx au vif de la Commune
Article mis en ligne le 23 mars 2021

Tandis que la Troisième République s’apprête à entrer dans Paris pour exterminer une révolution très largement ouvrière, ce brave Émile Zola peste contre les communistes, le « parti rouge », l’Association internationale des travailleurs et le « grand pontife de l’Internationale » (entendre Karl Marx), lesquels importeraient en France leurs affreuses théories. L’intéressé a alors 52 ans. Il vit en exil en Angleterre depuis 1849 et a publié le premier volume du Capital quatre ans avant l’éclatement de la Commune. Si l’Internationale — alors composée, pour l’essentiel, de collectivistes libertaires, de marxistes et de mutuellistes — ne joue aucun rôle dans ce dernier, 14 des 85 membres élus du gouvernement communal y sont affiliés. De Londres, Marx s’informe, correspond, commente et prodigue même deux ou trois conseils à ses quelques contacts communards. Rosa Moussaoui, grand reporter à L’Humanité, en fait le récit.

« Le vieux monde se tordit dans des convulsions de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la République du travail, flottant sur l’Hôtel de Ville1. » Lorsque surgit la révolution du 18 mars 1871 et que lui parvient, à Londres, la nouvelle du soulèvement de Paris, assiégée depuis six mois, le premier élan de Marx n’a encore rien de cette fougue aux accents lyriques. Le penseur et militant, qui a porté sept ans plus tôt la Première Internationale sur les fonts baptismaux, est d’abord perplexe, inquiet, surpris par le tour que prennent les événements : sans doute redoute-t-il une forme d’aventurisme des insurgés parisiens, mal préparés, pris sous les feux croisés d’un double ennemi, extérieur et intérieur. (...)

La défaite consommée et l’empereur Napoléon III capturé, Adolphe Thiers — ce « méchant avorton », comme Marx le nomme — affûte déjà contre le peuple de Paris les armes de la revanche. Dans une lettre transmise par le ministre Jules Favre2 à Bismarck, le chef du gouvernement provisoire replié à Versailles « supplie » le chancelier allemand, « au nom de la cause de l’ordre social », de le laisser accomplir lui-même « cette répression du brigandage antisocial qui a pour quelques jours établi son siège à Paris ». « Ce serait causer un nouveau préjudice au parti de l’ordre en France, et dès lors en Europe, que d’agir autrement, conclut Thiers. Que l’on compte sur nous, et l’ordre social sera vengé dans le courant de la semaine. » Ce pacte entre ennemis de la veille pour garantir l’ordre social fera dire à Marx, dans La Guerre civile en France, que « Les gouvernements nationaux ne font qu’un contre le prolétariat ».

Écrit sur le vif, des derniers jours d’avril jusqu’à la Semaine sanglante, ce pamphlet prendra d’abord la forme d’une Adresse de l’Association internationale des travailleurs (AIT), que précèdent plusieurs ébauches3. Il est nourri des lettres et rapports reçus des Internationaux4 de Paris, des coupures de presse rassemblées par Marx au fil de ces événements d’une exceptionnelle densité, des analyses accumulées des soubresauts révolutionnaires qui ont accompagné, en France, l’émergence de l’État central et de classes nouvelles liées au développement de l’industrie capitaliste. (...)